[JEAN JACQUES ROUSSEAU]

ARRÊT
DU CONSEIL D’ETAT
SUR CETTE REQUÊTE

[Du Peyrou/Moultou 1780-1789 quarto édition; t. XIV, pp. 211-214 (1782).]

ARRÊT
Du CONSEIL D’ETAT
SUR CETTE REQUÊTE.

[211] Sur la Requête ci-dessus, après avoir délibéré, il a été dit: que les quatre anciens du consistoire de Motiers n’ayant présenté leur Requête au Conseil, que pour avoir une direction, on trouve que le suppliant n’a aucune qualité pour en demander communication; en sorte qu’elle ne peut lui être accordée, puisqu’elle ne contient rien qui intéresse sa personne. Donné en Conseil tenu sous notre Présidence au Château de Neuchâtel le 29 avril 1765.

(Signé) SANDOZ DE ROSIERES.

Je me tus par respect pour le Gouvernement, supposant que le Conseil avoit eu les raisons de ne pas m’accorder ma demande, sachant d’ailleurs, après St. Paul, que toute personne doit être soumise aux Puissances supérieures, Rom. VIII. 1. Non que j’estime que la voix de représentation puisse, dans un pays libre, être fermée à aucun citoyen.

[212] Permettez-moi, Monsieur, une apostrophe à l’Auteur anonyme, noli movere Camarinam: la vénérable Classe sait se conduire, elle n’a nullement besoin de vos conseils pour sa tranquillité.

Que dites-vous, Monsieur, de la note de l’Auteur page 152, dans laquelle il couronne ses calomnies en developpant toute la méchanceté de son ame? On assure, dit l’anonyme, que M. de M. se tranquillise aussi dans le doux espoir, que sous un autre regne, les choses iront mieux pour lui & pour la vénérable Classe. Ce trait, continue l’Auteur, manquoit à l’éloge du Souverain, sous lequel nous avons le bonheur de vivre. Ah! Monsieur, m’écrié-je là-dessus, qui pourroit croire que dans un siecle, où les hommes se piquent d’être vrais, il s’en trouve un qui ait l’ame aussi noire! Qu’il sied bien à cet homme là, de parler de violence & de persécution, tandis qu’il outrage & persécute injustement & calomnieusement un homme de bien, attaché à Dieu, à la religion, à sa patrie, & à son Prince. Suis-je capable de dégénérer de mes peres, qui travailleront avec tant de zele & de succès, à procurer à la Maison de Brandedourg la juste domination sur cette souveraineté? C’est un fait connu de tous les habitans de ce pays, connu même de la Cour, & qui passera jusqu’à la postérité. Le sang qui coule dans mes veines est pur; il est au service de mon Prince, comme l’a été celui de mes peres, & mes enfans ne dégénéreront pas.,Que vent dire l’anonyme par ses malignes insinuations, dignes du feu de Goa, pour ne rien dire de plus? Encore une fois, qu’il leve le masque; qu’il se montre & qu’il se nomme. Mais il [213] se tiendra derriere le rideau, les calomniateurs sont lâches, celui qui est capable d’inventer une calomnie est capable de faire ce qu’il prête gratuitement aux autres.

Je n’ai rien de personnel contre M. Rousseau: je le plains autant & plus encore dans ses erreurs, que dans ses infirmités. Si on lui a mis dans l’esprit que je lui voulois du mal, l’on me fait bien tort: je n’en veux à personne, pas même à l’anonyme, qui a cherché à me maltraiter & à me flétrir. Si j’ai tancé un peu vivement cet anonyme, c’est une correction que j’ai cru lui être nécessaire.

Quel malheur, Monsieur, que M. Rousseau se soit obstiné à écrire sur des matieres de religion, contre ses promesses! Si ce beau & rare génie avoit travaillé sur d’autres sujets, que de riches présens n’auroit-il pas fait à la Société!

J’ose le dire, Monsieur, M. Rousseau n’a point eu d’ennemis dans toute cette affaire, que ceux qui se sont déclarés ses amis. S’il eût agi par lui-même, & non pas selon leurs conseils, je ne doute pas qu’il n’eût paru en consistoire, & vraisemblablement qu’il n’eût satisfait à ce qu’on requéroit de lui: ce qui auroit été pour moi le sujet d’une parfaite joie, & alors tout étoit fini sans inquiétudes, sans tracasseries, & sans cette chaîne de disgraces, page 153, si M. Rousseau peut appeller ainsi des maux qu’il se procure si volontairement, & qui malheureusement donnent lieu à la calomnie, & rejaillissent sur des innocens.

Que M. Rousseau se persuade qu’en me conformant aux ordres de mes supérieurs, j’ai suivi en même tans les mouvemens de ma conscience, mon devoir, & l’état de ma vocation.

[214] Lui qui dit respecter si sort sa conscience, qu’il respecte aussi la mienne, & qu’il n’attribue pas à passion, ce que j’ai cru devoir faire pour suivre les mouvemens de cette même conscience.

S’il le croit, j’en suis bien aise; s’il ne veut pas y ajouter foi, j’en suis fâché: le grand juge sera intermédiaire un jour entre lui & moi.

Quoique toutes ces affaires m’ayent causé bien des sollicitudes & des chagrins, j’ai cependant la consolation d’avoir été loué, & approuvé dans ma conduite par mon troupeau, qui m’a toujours été attaché, & qui me donne plus que jamais des témoignages de son affection, de sa confiance, & de son respect.

Je conclurai par cette réflexion, c’est que l’anonyme, en mettant dans la nécessité de rendre publique mon apologie, a contribué par-là à faire connoître à tout le monde la régularité de ma conduite tout-à-la-fois charitable & vigilante.

Je suivrai, Monsieur, votre conseil: je serai imprimer mes lettres, qui suivant l’usage des Ministres de ce pays, ont été lues dans une assemblée de la vénérable Classe. J’ai votre suffrage; suffrage d’un homme éclairé, d’un homme de bien; j’aurai par conséquent celui de tous les honnêtes gens. Conserve moi votre précieuse bienveillance,

& croyez que je vous suis pour la vie, & sans réserve.

MONSIEUR, &c.

P. S. Je suis décidé à me tenir à cet écrit, estimant que mon apologie est suffisamment établie.

FIN.

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