[JEAN JACQUES ROUSSEAU]

NOTE JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE DU 15 NOVEMBRE 1780,
SUR LA MUSIQUE DU DEVIN VILLAGE

[Paris, le 15 Novembre 1780==Du Peyrou/Moultou 1780-1789 quarto édition; t. XV, pp. 302-308.]

[302]

NOTE
Du Journal Encyclopédiquedu 15 Novembre 1780, sur la Musique
du Devin
du Village.

«L’identité du nom de M. Rousseau de Geneve avec celui de l’Auteur de ce Journal, a occasionné une méprise dont on va rendre compte, & qui a contribué à élever des doutes sur la musique du Devin du Village. En 1750, M. Pierre Rousseau reçut une lettre qui étoit adressée tout simplement: A M. Rousseau, Auteur, à Paris. M. Jean-Jaques Rousseau n’avoit pas encore cette grande & juste célébrité dont il a joui depuis cette époque; M. Pierre Rousseau avoir déjà donné des Pieces à trois théâtres, & il étoit chargé d’un ouvrage public: le Facteur crut naturellement qu’elle étoit pour celui-ci, qui en recevoit beau-coup. Cette lettre étoit conçue à-peu-près en ces termes: M. Je vous ai envoyé la musique du Devin du Village, dont vous ne m’avez pas accusé la réception: vous m’avez promis d’autres paroles; je voudrois bien les avoir, parce que je vais passer quelque tems à la campagne, où je travaillerai, quoique m’a santé soit toujours chancelante. Cette lettre étoit signée Grenet ou Garnier, autant que nous pouvons nous le rappeller. Nous répondîmes tout de suite à ce musicien, que sans doute il s’étoit trompé dans la suscription de sa lettre, & que nous l’en prévenions, afin qu’il s’adressât à la personne qu’il avoit en vue, (Observons [303] que M. Jean-Jaques Rousseau n’étoit pas encore connu, du moins à Paris.) Comme nous ne pouvions pas présumer que cette lettre dût tirer à conséquence, nous négligeâmes de la garder, & elle eut le sort de tous les papiers qu’on croit inutiles, & dont nous étions alors surchargés. Quand on donna en 1753, le Devin du Village, nous fîmes part de cette anecdote à M. Duclos, de l’Académie Françoise, qui s’étoit déclaré ouvertement l’admirateur de cet Intermede; il parut en desirer quelque preuve. N’ayant point retrouvé cette lettre intéressante, nous écrivîmes à Lyon, d’où l’on nous répondit que le musicien, dont nous demandions des nouvelles, étoit mort depuis deux ans. Le Devin du Village eut le plus grand succès. Les choses en resterent là; mais ayant eu occasion de parler dans notre Journal des ouvrages de M. Jean-Jaques Rousseau, nous osâmes dire que nous doutions qu’il fût l’Auteur de la musique de cet Intermede; &, pour qu’il ne prétendît point l’ignorer, nous lui envoyâmes le volume du Journal dans lequel il en étoit question: il garda le silence le plus profond. Quelque tems après, en rendant compte d’autres ouvrages de ce célebre Ecrivain nous revînmes à la charge, & nous nous expliquâmes encore plus clairement que la premiere fois: même attention pour lui; même silence de sa part. Nous vous eu depuis occasion de nous rencontrer plusieurs fois, & jamais il ne nous en a parlé. Pourquoi s’est-il tant élevé contre ce bruit dont nous sommes les instigateurs, & dans un orage qui ne devoir paraître qu’après sa mort? Au reste, il est très-possible que n’ayant pas jugé bonne la musique [304] du Compositeur de Lyon, il en ait fait une nouvelle, qui est celle que nous connoissons; mais aussi pourquoi les morceaux qu’en dernier lieu il a voulu substituer aux anciens, ont-ils été trouvés si médiocres, qu’il a fallu les faire disparoître à jamais, & en revenir aux premiers? Nous supplions nos lecteurs, ajoute l’Auteur du Journal, d’observer que nous n’avons pas attendu que la mort nous privât de cet homme illustre, pour élever un pareil doute, qui ne fait pas grand’-chose à sa célébrité, & qui ne nous empêchera jamais de payer le juste tribut d’admiration que nous devons à son éloquence & à son génie. Nous aurions laissé en paix sa cendre, s’il n’avoit rien dit de ce qui regarde la musique du Devin du Village dans la brochure dont nous rendons compte.»

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