JEAN JACQUES ROUSSEAU

DISSERTATION
SUR LA MUSIQUE MODERNE

[1742 avant nov.; A Paris, G.F. Quillau, 1742; deuxième édition Duchesne des Œuvres de M. Rousseau de Genève, 1764; Ouvres posthumes, Genève, 1781; le Pléiade édition, t. V, pp. 155-246 ==Du Peyrou/Moultou 1780-89 quarto édition, t. VIII, pp. 233-353.]

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DISSERTATION
SUR LA MUSIQUE
MODERNE.

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PRÉFACE

S’ils est vrai que les circonstances & les préjugés décident souvent du sort d’un Ouvrage, jamais Auteur n’à du plus craindre que moi. Le Public est aujourd’hui si indispose contre tout ce qui s’appelle nouveauté; si rebute de systèmes & de projets, sur-tout en fait de Musique, qu’il n’est plus gueres possible de lui rien offrir en ce genre, sans s’expose à l’effet de ses premiers mouvemens, c’est-à-dire, à se voir condamné sans être entendu.

D’ailleurs, il faudroit surmonter tant d’obstacles, réunis non par la raison, mais par l’habitude & les préjugés bien plus forts qu’elle, qu’il ne paroit pas possible de forcer de si puissantes barrieres; n’avoir que la raison pour soi, ce n’est pas combattre à armes égales, les préjugés sont presque toujours surs d’en triompher, & je ne connois que le seul intérêt capable de les vaincre à son tour.

Je serois rassure par, cette derniere considération, si le Public etoit toujours bien attentif à juger de ses vrais intérêts; mais il est pour l’ordinaire assez nonchalant pour en laisser la direction à gens qui en ont de tout [236] opposes, & il aime mieux se plaindre éternellement d’être mal servi, que de se donner des soins pour l’être mieux.

C’est précisément ce qui arrive dans la Musique; on se récrie sur la longueur des Maîtres & sur la difficulté de l’Art, & l’on rebute ceux qui proposent de l’éclaircir & de l’abréger. Tout le monde convient que les caracteres de la Musique sont dans un état d’imperfection peu proportionne aux progrès qu’on à faits dans les autres parties de cet Art: cependant on se défend contre toute proposition de les reformer, comme contre un danger affreux: imaginer d’autres signes que ceux dont s’est servi le divin Lulli, est non-seulement la plus haute extravagance dont l’esprit humain soit capable, mais c’est encore une espece de sacrilège. Lulli est un Dieu dont le doigt est venu fixer à jamais l’état de ces sacres caracteres: bons ou mauvais, il n’importe, il faut qu’ils soient éternises par ses Ouvrages; il n’est plus permis d’y toucher sans se rendre criminel, & il faudra, au pied de la lettre, que tous les jeunes Gens qui apprendront désormais la Musique, paient un tribut de deux ou trois ans de peine au mérite de Lulli.

Si ce ne sont pas-là les propres termes, c’est du moins le sens des objections que j’ai oui faire cent fois contre tout projet qui tendroit à reformer cette partie de la [237] Musique. Quoi! faudra-t-il jetter au feu tous nos Auteurs? tout renouveller? la Lande, Bernier, Correlli? Tout cela seroit donc perdu pour nous? Ou prendrions nous de nouveaux Orphées pour nous en dédommager, & quels seroient les Musiciens qui voudroient se résoudre à redevenir écoliers?

Je ne fais pas bien comment l’entendent ceux qui font ces objections; mais il me semble qu’en les réduisant en maximes, & en détaillant un peu les conséquences, on en feroit des aphorismes fort singuliers, pour arrêter tout court le progrès des Lettres & des beaux-Arts.

D’ailleurs, ce raisonnement porte absolument à faux & l’établissement des nouveaux caracteres, bien loin de détruire les anciens Ouvrages, les conserveroit doublement, par les nouvelles éditions qu’on en feroit, & par les anciennes qui subsisteroient toujours. Quand on à traduit un Auteur, je ne vois pas la nécessité de jetter l’Original au feu. Ce n’est donc ni l’Ouvrage en lui-même, ni les exemplaires qu’on risqueroit de perdre, & remarquez, sur-tout, que que qu’avantageux que put être un nouveau système, il ne detruiroit jamais l’ancien avec assez de rapidité pour en abolir tout d’un coup l’usage; les Livres en seroient uses avant que d’être inutiles, & quand ils ne serviroient que de ressource aux opiniâtres, on trouveroit toujours assez à les employer.

[238] Je sais que les Musiciens ne sont pas traitables sur ce chapitre la Musique pour eux n’est pas la science des sons, c’est celle des noires, des blanches, des doubles-croches, & des que ces figures cesseroient d’affecter leurs yeux, il ne croiroient jamais voir réellement de la musique la crainte de redevenir écoliers, & surtout le train de cette habitude, qu’ils prennent pour science même, leur seront toujours regarder avec mépris ou avec effroi tout ce qu’on leur proposeroit en ce genre. Il ne faut donc pas compter sur leur approbation; il faut même compter sur toute leur résistance dans l’établissement des nouveaux caractères, non pas comme bons ou comme mauvais en eux-mêmes, mais simplement comme nouveaux.

Je ne sais quel auroit été le sentiment particulier de Lulli sur ce point, mais je suis presque sur qu’il etoit trop-grand homme pour donner dans ces petitesse; Lulli auroit senti que à sa science ne tenoit point à des caracteres; que ses sons ne cesseroient jamais d’être des sons divins, quelques signes qu’on employait pour les exprimer, & qu’enfin, c’etoit toujours un service important à rendre à son Art & au progrès de ses Ouvrages, que de les publier dans une langue aussi énergique, mais plus facile à entendre, & qui par-la deviendroit plus universelle, dût-il en coûter l’abandon de quelques [239] vieux Exemplaires, dont assurément il n’auroit pas cru que le prix fut à comparer à la perfection générale de l’Art.

Le malheur est que ce n’est pas à des Lulli que nous avons à faire. Il est plus aise d’hériter de sa science que de son génie. Je ne sais pourquoi la Musique n’est pas amie du raisonnement; mais si ses éleves sont si scandalisés de voir un confrère réduire son Art en principes, l’approfondir, & le traiter méthodiquement, à plus forte raison ne souffriroient-ils pas qu’on osât attaquer les parties mêmes de cet Art.

Pour juger de la façon dont on y seroit reçu, on n’a qu’à se rappeller combien il a fallu d’années de lutte & opiniâtreté pour substituer l’usage du si à ces grossieres muances, qui ne sont pas même encore abolies par-tout. On convenoit bien que l’échelle etoit composée de sept sens différens; mais on ne pouvoit se persuader qu’il fut avantageux de leur donner à chacun un nom particulier, puisqu’on ne s’en etoit pas avise jusques-la, & que la Musique que n’avoit pas laisse d’aller son train.

Toutes ces difficultés sont présentes à mon esprit avec toute la force qu’elles peuvent avoir dans celui des Lecteurs. Malgré ce la, je ne saurois croire qu’elles puissent tenir contre les vérités de démonstration que j’ai à établir. Que tous les systèmes qu’on à proposes en ce genre [240] aient échoue jusqu’ici, je n’en suis point étonne: même à égalité d’avantages & de défauts, l’ancienne méthode devoit sans contredit l’emporter, puisque pour détruire un système établi, il faut que celui qu’on veut substituer lui soit préférable, non-seulement en les considérant chacun en lui-même & par ce qu’il à de propre, mais encore en joignant au premier toutes les raisons d’ancienneté & tous les préjugés qui le fortifient.

C’est ce cas de préférence ou le mien me paroit être & ou l’on reconnoître qu’il est en effet, s’il conserve les avantages de la méthode ordinaire, s’il en fauve les inconvéniens, & enfin s’il résout les objections extérieures qu’on oppose à toute nouveauté de ce genre, indépendamment de ce qu’elle est en soi-même.

A l’égard des deux premiers points, ils seront discutes dans le corps de l’Ouvrage, & l’on ne peut savoir à quoi s’en tenir qu’après l’avoir lu; pour le troisieme, rien n’est si simple à décider. Il ne faut, pour cela, qu’exposer le but même de mon projet & les effets qui doivent résulter de son exécution.

Le système que je propose roule sur deux objets principaux; l’un de noter la Musique & toutes ses difficultés d’une maniere plus simple, plus commode, & sous un moindre volume.

Le second & le plus considérable, est de la rendre [241] aussi aisée à apprendre qu’elle à été rebutante jusqu’à présent, d’en réduire les signes à un plus petit nombre, rien retrancher de l’expression, & d’en abréger les regles, de façon à faire un jeu de la théorie, & à n’en rendre la pratique dépendante que de l’habitude des organes, sans que la difficulté de la note y puisse jamais entrer pour rien.

Il est aise de justifier par l’expérience, qu’on apprend la Musique en deux & trois fois moins de tems par ma méthode que par la méthode ordinaire, que les Musiciens formés par elle, seront plus sûrs que les autres à égalité de science, & qu’enfin sa facilité est telle que quand on voudroit s’en tenir à la Musique ordinaire, il faudroit toujours commencer par la mienne, pour y parvenir qui, plus surement & en moins de tems. Proposition qui, toute paradoxe qu’elle paroit, ne laisse pas d’être exactement vraie, tant par le fait que par la démonstration. Or, ces faits supposes vrais, toutes les objections tombent d’elles-mêmes & sans ressource. En premier lieu, la Musique notée suivant l’ancien système ne sera point inutile, & il ne faudra point se tourmenter pour la jetter, au feu, puisque les Eleves de ma méthode parviendront à chanter à livre ouvert sur la Musique ordinaire, en moins de tems encore, y compris celui qu’ils auront donné à la mienne, qu’on ne le fait [242] communément; comme ils sauront donc également l’une & l’autre, sans y avoir employé plus de tems, on ne pourra pas déjà dire à l’égard de ceux-là que l’ancienne Musique est inutile.

Supposons des écoliers qui n’aient pas des années à sacrifier, & qui veuillent bien se contenter de savoir en sept ou huit mois de tems chanter à livre ouvert sur ma note, je dis que la Musique ordinaire ne sera pas même perdue pour eux. à la vérité, au bout de ce tems-la, ils ne la sauront pas exécuter à livre ouvert: peut-être même, ne la de chiffreront-ils pas sans peine: mais en fin, ils la de chiffreront; car, comme ils auront d’ailleurs l’habitude de la mesure & celle de l’intonation, il suffira de sacrifier cinq ou six leçons dans le septieme mois, à leur en expliquer les principes par ceux qui leur seront déjà connus, pour les mettre en état d’y parvenir aisément par eux-mêmes, & sans le secours d’aucun Maître; & quand ils ne voudroient pas se donner ce soin, toujours seront-ils capables de traduire sur le champ toute forte de Musique par la leur, & par conséquent, ils seroient en état d’en tirer parti, même dans un tems ou elle est encore indéchiffrable pour les écoliers ordinaires.

Les Maîtres ne doivent pas craindre de redevenir écoliers: ma méthode est si simple qu’elle n’à besoin [243] que d’être lue & non pas étudiée, & j’ai lieu de croire que les difficultés qu’ils y trouveroient, viendroient plus des dispositions de leur esprit que de l’obscurité du système, puisque des Dames à qui j’ai eu l’honneur de l’expliquer, ont chante sur le champ & à livre ouvert, la Musique notée suivant cette méthode, & ont elles-mêmes note des airs fort correctement tandis que des Musiciens du premier ordre auroient peut-être affecte de n’y rien comprendre.

Les Musiciens, je dis du moins le plus grand nombre, ne se piquent gueres de juger des choses sans préjugés & sans passion, & communément ils les considèrent bien moins par ce qu’elles sont en elles-mêmes, que par le rapport qu’elles peuvent avoir à leur intérêt. Il est vrai que, même en ce sens-la, ils n’auroient nul sujet de s’opposer au succès de mon système, puisque des qu’il est publie, ils en sont les maîtres aussi-bien que moi, & que la facilite qu’il introduit dans la Musique, devant naturellement lui donner un cours plus universel, ils n’en seront que plus occupes, en contribuant à le répandre. Il est cependant très-probable qu’ils ne s’y livreront pas les premiers, & qu’il n’y à que le goût décide du Public qui puisse les engager à cultiver un système dont les avantages paroissent autant d’innovations contre la difficulté de leur Art..

[244] Quand je parle des Musiciens en général, je ne pretends point y confondre ceux d’entre ces Messieurs sont l’honneur de cet Art par leur caractere & par leurs lumieres. Il n’est que trop connu que ce qu’on appelle peuple, domine toujours par le nombre dans toutes les sociétés & dans tous les états; mais il ne l’est pas moins qu’il y à par-tout des exceptions honorables, & tout ce qu’on pourroit dire en particulier contre la profession de la Musique, c’est que le peuple y est peut-être un peu plus nombreux, & les exceptions plus rares.

Quoi quel en soit, quand on voudroit supposer & grossir tous les obstacles qui peuvent arrêter l’effet mon projet, on ne sauroit nier ce fait plus clair que le jour, qu’il y à dans Paris deux & trois mille personnes qui, avec beaucoup de dispositions, n’apprendront jamais la Musique, par l’unique raison de sa longueur & de sa difficulté. Quand je n’aurois travaille que pour ceux-là, voilà déjà une utilité sans replique; & qu’on ne dite que cette méthode ne leur servira de rien pour exécuter sur la Musique ordinaire; car, outre que j’ai déjà répondu à cette objection; il sera d’autant moins nécessaire pour eux d’y avoir recours, qu’on aura soin de leur donner des éditions des meilleures pieces de Musique de toute espece & des recueils périodiques d’Airs chanter & de symphonies, en attendant que le système [245] soit assez répandu pour en rendre l’usage universel.

Enfin, si l’on outroit assez la défiance pour s’imaginer que personne n’adopteroit mon système, je dis que même dans ce cas-là, il seroit encore avantageux eux Amateurs de l’Art de le cultiver pour leur commodité particuliere. Les exemples qu’on trouve notes à la fin de cet Ouvrage, seront assez comprendre les avantages des mes signes sur les signes ordinaires, soit pour la facilite, soit pour la précision. On peut avoir en cent occasions des Airs à noter sans papier regle; ma méthode vous en donne un moyen très-commode & très-simple. Voulez-vous envoyer en Province des airs nouveaux, des scenes entieres d’Opéra, sans augmenter le volume de lettres? Vous pouvez écrire sur la même feuille des très-longs morceaux de Musique. Voulez-vous en composant peindre aux yeux le rapport de vos parties, le progrès de vos accords, & tout l’état de votre harmonie? La pratique de mon systême satisfait à tout cela; & je conclus enfin, qu’à ne considérer ma méthode que comme cette langue particuliere des Prêtres Egyptiens; qui ne servoit qu’à traiter des sciences sublimes, elle seroit encore infiniment inutile aux initiés dans la Musique, avec cette différence, qu’au lieu d’être plus difficile, elle seroit plus aisée que la langue ordinaire, & ne pourroit par conséquent être long-tems un mystère pour le public.

[246] Il ne faut point regarder mon système comme un projet tendant à détruire les anciens caracteres. Je veux croire que cette entreprise seroit chimérique, même avec la substitution la plus avantageuse; mais je crois aussi que la commodité des miens, & sur-tout leur extrême facilite méritent toujours qu’on les cultive indépendamment de ce que les autres pourront devenir.

Au reste, dans l’état d’imperfection ou sont depuis si long-tems les signes de la Musique, il n’est point extraordinaire que plusieurs personnes aient tente de les refondre ou de les corriger. Il n’est pas même bien étonnant que plusieurs se soient rencontres dans le choix des signes les plus naturels & les plus propres à cette substitution, tels que sont les chiffres. Cependant, comme la plupart des hommes ne jugent gueres des choses que sur le premier coup-d’oeil, il pourra très-bien arriver que, par cette unique raison de l’usage des même caracteres, on m’accusera de n’avoir, fait que copier, & de donner ici un système renouvelle. J’avoue qu’il est aise de sentir que c’est bien moins le genre des signes, que la maniere de les employer qui constitue la différence en fait de systèmes: autrement, il faudroit dire, par exemple, due l’Algebre & la Langue Françoise ne sont que la même chose, parce qu’on s’y sert également des lettres de l’alphabet; mais cette réflexion ne sera [247] pas probablement celle qui l’emportera, & il paroit si heureux par une seule objection, de m’ôter à la fois le de mérite l’invention, & de mettre sur mon compte les vices des autres systèmes, qu’il est des gens capables d’adopter cette critique, uniquement à raison de sa commodité.

Quoiqu’un pareil reproche ne me fut pas tout-à-fait indifférent, j’y serois bien moins sensible qu’à ceux qui pourroient tomber directement sur mon système. II importe beaucoup plus de savoir s’il est avantageux, que d’en bien connoître l’Auteur; & quand on me refuseroit l’honneur de l’invention, je serois moins touche de cette injustice, que du plaisir de le voir utile au Public. La seule grace que j’ai droit de lui demander, & que peu de gens m’accorderont, c’est de vouloir bien n’en juger qu’après avoir lu mon Ouvrage, & ceux qu’on m’accuseroit d’avoir copies.

J’avois d’abord résolu de ne donner ici qu’un plan très-abrège, & tel, à-peu-près, qu’il etoit contenu dans le Mémoire que j’eus l’honneur de lire à l’Académie Royale des Sciences, le 22 Août 1742. J’ai réfléchi cependant, qu’il faloit parler au Public autrement qu’on parle à une Académie, & qu’il y avoit bien des objections de toute espece à prévenir. Pour répondre donc a celle que j’ai pu prévoir, il à falu faire quelques additions [248] qui ont mais mon Ouvrage en l’état ou le voilà. J’attendrai l’approbation du Public pour en donner autre qui contiendra les principes absolus de ma méthode, tels qu’ils doivent être enseignes aux écoliers. J’y traiterai d’une nouvelle maniere de chiffrer l’accompagnement de l’Orgue & du Clavecin, entièrement différente de tout ce qui à paru jusqu’ici dans ce genre, & telle qu’avec quatre signes seulement, je chiffre toute sorte de Basses continues, de maniere à rendre la modulation & la Basse-fondamentale toujours parfaitement connues & de l’Accompagnateur, sans qu’il lui soit possible de s’y tromper. Suivant cette méthode on peut, sans voir la Basse-figurée, accompagner très-juste par les chiffres seuls, qui, au lieu d’avoir rapport à cette Basse-figurée, l’ont directement à la fondamentale; mais ce n’est pas ici le lieu d’en dire davantage sur cet article.

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DISSERTATION SUR LA MUSIQUE MODERNE

Immutat animus ad pristina. Lucr.

Il paroit étonnant que les signes de la Musique étant restes aussi long-tems dans l’état d’imperfection ou nous les voyons encore aujourd’hui, la difficulté de l’apprendre n’ait pas averti le Public que c’etoit la faute des caracteres & non pas celle de l’Art, ou que s’en étant apperçu, on n’ait pas daigne y remédier. Il est vrai qu’on à donne souvent des projets en ce genre: mais de tous ces projets, qui, sans avoir les avantages de la Musique ordinaire, en avoient les inconvéniens, aucun, que je fache, n’à jusqu’ici touche le but; soit qu’une pratique trop superficielle ait fait échouer ceux qui l’ont voulu considérer théoriquement, soit que le génie étroit & borne des Musiciens ordinaires les ait empêchés d’embrasser une plan général & raisonne, & de sentir les vrais défauts de leur Art, de la perfection actuelle duquel ils sont, pour l’ordinaire, très-entêtés.

[250] La Musique à eu le sort des Arts qui ne se perfectionnent que successivement. Les inventeurs de ses caracteres n’ont qu’à songe qu’à l’état ou elle se trouvoit de leur tems, sans prévoir celui ou elle pouvoit parvenir dans la suite. Il est arrive de-la que leur système s’est bientôt trouve défectueux, & d’autant plus défectueux que l’Art s’est plus perfectionné à mesure avançoit, on établissoit des regles pour remédier aux inconvéniens présens, & pour multiplier une expression trop bornée, qui ne pouvoir suffire aux nouvelles combinaisons on la chargeoit tous les jours. En un mot: les inventeurs en ce genre, comme le dit M. Sauveur, n’ayant eu en vue que quelques propriétés des sons, & sur-tout, la pratique du Chant qui etoit en usage de leur tems, ils se sont contentes de faire, par rapport à cela, des systèmes de Musique que d’autres ont peu-à-peu changes, à mesure que le goût de la Musique changeoit. Or, il n’est pas possible qu’un système, fut-il d’ailleurs le meilleur du monde dans son origine, ne se charge à la fin d’embarras & de difficultés, par les changemens qu’on y fait & les chevilles qu’on y ajoute, & cela ne sauroit jamais faire qu’un tout fort embrouille & sort mal assorti.

C’est le cas de la méthode que nous pratiquons aujourd’hui dans la Musique, en exceptant, cependant, à simplicité du principe qui ne s’y est jamais rencontrée. Comme le fondement en est absolument mauvais, on est ne l’à pas proprement gâte, on n’à fait que le rendre pire, par les additions qu’on à été contraint d’y faire.

Il n’est pas aise de savoir précisément en quel état étoit [251] la Musique, quand Gui d’Arezze* [*Soit Gui d’Arezze, soit Jean de Mure, le nom de l’Auteur ne fait rien au systême, & je ne parle du premier que parce qu’il est plus connu.] s’avisa de supprimer tous les caracteres qu’on y employoit, pour leur substituer les notes qui sont en usage aujourd’hui. Ce qu’il y a de vraisemblable, c’est que ces premiers caracteres etoient les mêmes avec lesquels les anciens Grecs exprimoient cette Musique merveilleuse, de laquelle, quoiqu’on en dise, la notre n’approchera jamais, quant à ses effets; & ce qu’il y a de sûr, c’est que Gui rendit un sort mauvais service à la Musique, & qu’il est fâcheux pour nous qu’il n’ait pas trouvé en son chemin des Musiciens aussi indociles que ceux d’aujourd’hui.

Il n’est pas douteux que les lettres de l’Alphabet des Grecs, ne fussent en même tems les caracteres de leur Musique, & les chiffres de leur Arithmétique: de sorte qu’ils n’avoient besoin que d’une seule espece de signes, en tout au nombre de vingt-quatre, pour exprimer toutes les variations du discours, tous les rapports des nombres, & toutes les combinaisons des sons; en quoi ils étoient bien plus sages ou plus heureux que nous, qui sommes contraints de travailler notre imagination sur une multitude de signes inutilement diversifiés.

Mais, pour ne m’arrêter qu’à ce qui regarde mon sujet, comment se peut-il qu’on ne s’apperçoive point de cette foule de difficultés que l’usage des notes à introduites dans la Musique, ou que, s’en appercevant, on n’ait pas le courage d’en tenter le remede, d’essayer de la ramener à sa premiere simplicité, [252] & en un mot, de faire pour sa perfection ce que Gui d’Arezze à fait pour la gâter: car, en vérité, c’est le mot & je le dis malgré moi.

J’ai voulu chercher les raisons dont cet Auteur dut se servir pour faire abolir l’ancien système en faveur du sien, & je n’en ai jamais pu trouver d’autres que les deux suivantes, 1. Les notes sont plus apparentes que les chiffres, 2. Et leur position exprime mieux à la vue la hauteur & la abaissement des sons. Voilà donc les seuls principes sur lesquels notre Aretin bâtit un nouveau système de Musique, anéantit toute celle qui etoit en usage depuis deux mille ans, & apprit aux hommes à chanter difficilement.

Pour trouver si Gui raisonnoit juste, même en admettant la vérité de ses deux propositions, la question se réduiroit à savoir si les yeux doivent être ménages aux dépens de l’esprit, & si la perfection d’une méthode consiste à en rendre les signes plus sensibles en les rendant plus embarrassans: car c’est précisément le cas de la sienne.

Mais nous sommes dispenses d’entrer là-dessus en discussion, puisque ces deux propositions étant également fausses & ridicules, elles n’ont jamais pu servir de fondement qu’à un très-mauvais système.

En premier lieu; on voit d’abord que les notes de la Musique remplissant beaucoup plus de place que les chiffres aux-quels on les substitue, on peut, en faisant ces chiffres beaucoup plus gros, les rendre du moins aussi visibles que les notes, sans occuper plus de volume. On voit, de plus Musique notée ayant des points, des quarts-de-soupirs, des [253] lignes, des clefs, des dièse, & d’autres signes nécessaires autant & plus menus que les chiffres, c’est par ces signes-là, & non par la grosseur des notes, qu’il faut déterminer le point-de-vue.

En seconde lieu; Gui ne devoit pas faire sonner si haut l’irréalité de la position des notes: puisque, sans parler de cette foule d’inconvéniens dont elle est la cause, l’avantage qu’elle procure se trouve déjà tout entier dans la Musique naturelle: c’est-a-dire, dans la Musique par chiffres; on y voit du premier coup-d’oeil, de même qu’à l’autre, si un son est plus haut ou plus bas que celui qui le précédé ou que celui qui le suit, avec cette différence seulement que dans la méthode des chiffres, l’intervalle, ou le rapport des deux sons qui le composent, est précisément connu par la seule inspection; au lieu que dans la Musique ordinaire vous connoissez à l’oeil qu’il faut monter ou descendre, & vous ne connoissez rien de plus.

On ne sauroit croire quelle application, quelle persévérance, quelle adroite mécanique est nécessaire dans le système établi, pour acquérir passablement la science des intervalles & des rapports: c’est l’ouvrage pénible d’une habitude toujours trop longue & jamais assez étendue, puisqu’après une pratique de quinze & vingt ans, le Musicien trouve encore des sauts qui non-seulement quant à l’intonation, mais encore quant à la connoissance de l’intervalle, sur-tout, lorsqu’il est question de sauter d’une clef à l’autre. Cet article mérite d’être & j’en parlerai plus au long.

Le système de Gui est tout-a-fait comparable, quant à son idée, à celui d’un homme qui, ayant fait réflexion que les [254] chiffres n’ont rien dans leurs figures qui réponde à leurs différentes valeurs, proposeroit d’établir entr’eux une certaine grosseur relative, & proportionnelle aux nombres qu’ils expriment. Le deux, par exemple, seroit du double plus gros que l’unité, le trois de la moitie plus gros que le deux, & ainsi de suite. Les défenseurs de ce système me ne manqueroient pas de vous prouver qu’il est très-avantageux dans l’Arithmétique d’avoir sous les yeux des caracteres uniformes qui, sans aucune différence par la figure, n’en auroient que par la grandeur, & peindroient, en quelque sorte aux yeux les rapports dont seroient l’expression.

Au reste: cette connoissance oculaire des hauts, des bas, & des intervalles est si nécessaire dans la Musique, qu’il n’y à personne qui ne sente le ridicule de certains projets qui été quelquefois donnes pour noter sur une seule ligne, par les caracteres les plus bizarres, les plus mal imagines, & les moins analogues à leur signification; des queues tournée sa droite, à gauche, en haut, en bas, & de biais, dans tous les sens, pour représenter des ut des re, des mi,&c. Des têtes & des queues différemment situées pour répondre aux dénominations, pa, ra, ga, so, bo, lo, do, ou d’autres signes tout aussi singulièrement appliques. On sent d’abord que tout cela ne dit rien aux yeux & n’à nul rapport à ce qu’il doit signifier, & j’ose dire que les hommes ne trouveront jamais de caracteres convenables ni naturels que les seuls chiffres pour exprimer les sons & tous leurs rapports. On en connoîtra mille sons les raisons dans le cours de cette lecture; en attendant, il suffit de remarquer que les chiffres étant l’expression [255] qu’on à donnée aux nombres, & les nombres eux-mêmes étant les exposans de la génération des sons, rien n’est naturel que l’expression des divers sons par les chiffres Arithmétique.

Il ne faut donc pas être surpris qu’on ait tente quelquefois de ramener la Musique à cette l’expression naturelle. Pour peu qu’on réfléchisse sur cet Art, non en Musicien, mais en Philosophe on en sent bientôt les défauts: l’on sent encore que ces défauts sont inhérens au fond même du système, & dépendans uniquement du mauvais choix & non pas du mauvais usage de ses caracteres: car, d’ailleurs, on ne sauroit disconvenir qu’une longue pratique, suppléant en cela au raisonnement, ne nous ait appris à les combiner de la maniere la plus avantageuse qu’ils peuvent l’être.

Enfin, le raisonnement nous mene encore jusqu’à connoître sensiblement que la Musique dépendant des nombres elle devroit avoir la même expression qu’eux: nécessité qui ne naît pas seulement d’une certaine convenance générale: mais du fond même des principes physiques de cet Art.

Quand on est une fois parvenu-la, par une suite de raisonnemens bien fondes & bien conséquens, c’est alors qu’il faut quitter la Philosophie & redevenir Musicien, & c’est justement ce que n’ont fait aucun de ceux qui jusqu’à présent ont proposé des systèmes en ce genre. Les uns, partant quelquefois d’une théorie très-fine, n’ont jamais su venir à bout de la ramener à l’usage, & les autres, n’embrassant proprement que le mécanique de leur Art, n’ont pu remonter jusqu’aux grands principes qu’ils ne connoissoient pas, & d’ou cependant, il [256] faut nécessairement partir pour embrasser un système lie. Le défaut de pratique dans les uns, le défaut de théorie dans les autres, & peut-être, s’il faut le dire, le défaut de génie dans tous, ont fait que jusqu’à présent aucun des projets qu’on à publies, n’à remédie aux inconvéniens de la Musique ordinaire, en conservant ses avantages.

Ce n’est pas qu’il se trouve une grande difficulté dans l’expression des sons par les chiffres, puisqu’on pourroit toujours les représenter en nombre, ou par les degrés de leurs intervalles, ou par les rapports de leurs vibrations; mais l’embarras d’employer une certaine multitude de chiffres sans ramener les inconvéniens de la Musique ordinaire, & le besoin de fixer le genre & la progression des sons par rapport à tous les différens modes, demandent plus d’attention qu’il ne paroit d’abord: car la question est proprement de trouve une méthode générale pour représenter, avec un très-petit nombre de caracteres, tous les sons de la Musique considérés dans chacun des vingt-quatre modes.

Mais la grande difficulté ou tous les inventeurs de systèmes ont échoue, c’est celle de l’expression des différentes durées des silences & des sons. Trompes par les fausses regles de la Musique ordinaire, ils n’ont jamais pu s’élever au-dessus de l’idée des rondes, des noires & des croches; ils se sont rendus les esclaves de cette mécanique, ils ont adopte les mauvaises relations qu’elle établit: ainsi, pour donner aux notes des valeurs déterminées, il à falu inventer de nouveaux signes, introduire dans chaque note une complication de figures, par rapport à la durée, & par rapport au son [257] d’ou s’ensuivant des inconvéniens que n’à pas la Musique ordinaire, c’est avec raison que toutes ces méthodes sont tombées le décri; mais enfin, les défauts de cet Art n’en subsistent pas moins, pour avoir été compares avec des défauts plus grands; & quand on publieroit encore mille méthodes plus mauvaises; on en seroit toujours au même point de la question, & tout cela ne rendroit pas plus parfaite celle que nous pratiquons aujourd’hui.

Tout le monde, excepte les Artistes, ne cesse de se plaindre de l’extrême longueur qu’exige l’étude de la Mutique avant que de la posséder passablement: mais, comme la Musique est une des sciences sur lesquelles on à moins réfléchi, soit le plaisir qu’on y prend, nuise au sens-froid nécessaire pour méditer; soit que ceux qui la pratiquent ne soient pas trop communément gens à réflexions, on ne s’est gueres avise jusqu’ici de rechercher les véritables causes de sa difficulté, & l’on à injustement taxe l’Art même des défauts que l’Artiste y avoit introduits.

On sent bien, à la vérité, que cette quantité de lignes, de clefs, de transpositions, de dièse, de bémols, de bécarres, de mesures simples & composées, de rondes, de blanches, de noires, de croches, de doubles, de triples-croches, de pauses, de demi-pauses, de soupirs, de demi-soupirs, de quarts de soupir, &c. donne une foule de signes & de combinaisons, d’ou résulté bien de l’embarras & bien des inconvéniens mais quels sont précisément ces inconvéniens? Naissent-ils directement de la Musique elle-même, ou de la mauvaise maniere de l’exprimer? Sont-ils susceptibles de correction, & [258] quels sont les remèdes convenables qu’on y pourroit apporter, il est rare qu’on pousse l’examen jusque-là; & après avoir la patience pendant des années entières de s’emplir la tête de sons, & la mémoire de verbiage, il arrive souvent qu’on est tout étonne de ne rien concevoir à tout cela, qu’en prend en dégoût la Musique & le Musicien, & qu’on laisser-là l’un & l’autre, plus convaincu de l’ennuyeuse difficulté de cet Art que de ses charmes si vantes.

J’entreprens de justifier la Musique des torts dont on l’accuse, & de montrer qu’on peut, par des routes plus courtes & plus faciles, parvenir à la posséder plus parfaitement, avec plus d’intelligence, que par la méthode ordinaire, afin que si le public persiste à vouloir s’y tenir, il ne s’en prenne du moins qu’à lui-même des difficultés qu’il y trouvera.

Sans vouloir entrer ici dans le détail de tous les défauts du système établi, j’aurai, cependant, occasion de parler plus considérables, & il sera bon d’y remarquer toujours que ces inconvéniens étant des suites nécessaires du fond même la méthode, il est absolument impossible de les corriger autrement que par une refonte générale, telle que je la propose; il reste à examiner si mon système remédie en effet à tous ces défauts, sans en introduire d’équivalens, & c’est à cet examen que ce petit ouvrage est destine.

En général, on peut réduire tous les vices de la Musique ordinaire à trois classes principales. La premiere est la multitude des signes & de leurs combinaisons, qui surchargent inutilement l’esprit & la mémoire des Commençans, de façon que l’oreille étant forme, & les organes ayant acquis [259] toute la facilite nécessaire, long-tems avant qu’on toit en état chanter à livre ouvert, il s’ensuit que la difficulté est toute dans l’observation des regles, & nullement dans l’exécution du chant la seconde est le défaut d’évidence dans le genre des intervalles exprimes sur la même ou sur différentes clefs. Défaut d’une si grande étendue, que, non-seulement, il est la cause principale de la lenteur du progrès des écoliers; mais encore qu’il n’est point de Musicien forme qui n’en soit quelquefois incommode dans l’exécution. La troisieme enfin, est l’extrême diffusion des caracteres & le trop grand volume qu’ils occupent, ce qui, joint à ces lignes & à ces portées si ennuyeuses à tracer, devient une source d’embarras de plus d’une espece. Si le premier mérite des signes d’institution est d’être clairs, le second est d’être concis; quel jugement doit-on porter des notes de notre Musique, à qui l’un & l’autre manquent?

Il paroit d’abord assez difficile de trouver une méthode qui puisse remédier à tous ces inconvéniens à la fois. Comment donner plus d’évidence à nos signes, sans les augmenter en nombre? Et comment les augmenter en nombre, sans les rendre d’un cote plus longs à apprendre, plus difficiles à retenir, & de l’autre, plus étendus dans leur volume?

Cependant, à considérer la chose de près, on sent bientôt que, tous ces défauts partent de la même source; savoir, de la mauvaise institution des signes & de la quantité qu’il en à falu établir pour suppléer à l’expression bornée & mal-entendue qu’on leur à donnée en premier lieu; & il est démonstratif que des qu’on aura invente des signes équivalens, mais plus simples, & en moindre quantité, ils auront par-la [260] même plus de précision & pourront exprimer autant choses en moins d’espace.

Il seroit avantageux, outre cela que ces signes fussent déjà connus, afin que l’attention fut moins partagée, & facile à suggérer, afin de rendre la Musique plus commode.

Voilà les vues que je me suis proposées, en méditant le système que je présente au Public. Comme je destine un autre ouvrage au détail de ma méthode, telle qu’elle do être enseignée aux écoliers, on n’en trouvera ici qu’un plan général, qui suffira pour en donner la parfaite intelligent aux personnes qui cultivent actuellement la Musique, & dans lequel j’espere, malgré sa breveté, que la simplicité de mes principes ne donnera lieu ni à l’obscurité, ni à l’équivoque.

Il faut d’abord considérer dans la Musique deux objets principaux, chacun séparément. Le premier, doit être l’expression de tous les sons possibles, & l’autre, celles de toutes les différentes durées, tant des sons que de leurs silences relatifs, ce qui comprend aussi la différence des mouvemens.

Comme la Musique n’est qu’un enchaînement de sons qui se sont entendre, ou tous ensemble, ou successivement, il suffit que tous ces sons aient des expressions relatives qui leur assignent à chacun la place qu’il doit occuper, par rapport à un certain son fondamental naturel ou arbitraire, pourvu que ce son fondamental soit nettement exprime que la relation soit facile à connoître. Avantages que n’à déjà point la Musique ordinaire, ou le son fondamental n’à nulle évidence particuliere, & ou tous les rapports des notes ont besoin d’être long-tems étudies.

[261] Mais comment faut-il procéder pour déterminer ce son fondamental de la maniere la plus avantageuse qu’il est possible; c’est d’abord une question qui mérite fort d’être examinée? On voit déjà qu’il n’est aucun son dans la nature qui contienne quelque propriété particuliere & connue, par laquelle on puisse le distinguer, toutes les fois qu’on l’entendra. Vous ne sauriez décider sur un son unique, que ce fait un ut plutôt qu’un la, ou un re, & tant que vous l’entendrez seul vous n’y pouvez rien appercevoir qui vous doive engager à lui attribuer un nom plutôt qu’un autre. C’est ce qu’avoit déjà remarque Monsieur de Mairan. Il n’y a, dit-il, dans la nature, ni ut ni sol qui soit quinte ou quarte par soi-même, parce que ut, sol, ou re n’existent qu’hypothétiquement selon le son fondamental que l’on à adopte. La sensation de chacun des tons n’a rien en soi de propre à la place qu’il tient dans l’étendue du clavier, rien qui le distingue des autres pris séparément. Le re de l’Opéra pourroit être l’ut de Chapelle, ou au contraire: la même vitesse, la même fréquence de vibrations qui constitue l’un, pourra servir quand on voudra à constituer l’autre; ils ne différent dans le sentiment qu’en qualité de plus haut ou de plus bas, comme huit vibrations, par exemple, différent de neuf, & non pas d’une différence spécifique de sensation.

Voilà donc tous les sons imaginables réduits à la seule faculté d’exciter des sensations par les vibrations qui les produisent, & la propriété spécifique de chacun d’eux réduite au nombre particulier de ces vibrations, pendant un tems déterminé: or, comme il est impossible de compter ces vibrations, [262] du moins d’une maniere directe, il reste démontré qu’on ne peut trouver dans les sons aucune propriété spécifique par laquelle on les puisse reconnoître séparément, & à plus forte raison qu’il n’y à aucun d’eux qui mérite par préférence d’être, distingue de tous les autres & de servir de fondement aux rapports qu’ils ont entr’eux.

Il est vrai que M. Sauveur avoit propose un moyen de terminer un son fixe qui eut servi de base à tous les tons de l’échelle générale: mais ses raisonnemens mêmes prouvent qu’il n’est point de son fixe dans la nature, & l’artifice très-ingénieux & très-impraticable qu’il imagina pour en trouver un arbitraire, prouve encore combien il y à loin des hypothèses, ou même, si l’on veut, des vértés de spéculation, aux simples regles de pratique.

Voyons, cependant, si en épiant la nature de plus près, nous ne pourrons point nous dispenser de recourir à l’Art pour établir un ou plusieurs sons fondamentaux, qui puissent nous servir de principe de comparaison pour y rapporter tous les autres.

D’abord, comme nous ne travaillons que pour la pratique, dans la recherche des sons nous ne parlerons que de ceux qui composent le système tempéré, tel qu’il est universellement adopte, comptant pour rien ceux qui n’entrent point dans la pratique de notre Musique, & considérant comme justes sans exception tous les accords qui résultent du tempérament. On verra bientôt que cette supposition, qui est la même qu’on admet dans la Musique ordinaire, n’ôtera rien à la variété que le système tempéré introduit dans l’effet des différentes modulations.

[263] En adoptant donc la suite de tous les tous du clavier, telle qu’elle est pratiquée sur les Orgues & les Clavecins, l’expérience m’apprend qu’un certain son auquel on à donne le nom d’ut, rendu par un tuyau long de seize pieds ouvert, fait entendre assez distinctement, outre le son principal, deux autres sons plus foibles, l’un à la tierce majeure, & l’autre à la quinte* [*C’est-à-dire, à la douzieme, qui est le replique de la quinte & à la dix septieme, qui est la duplique de la tierce majeure. L’octave, & même plusieurs octaves s’entendent aussi assez distinctement, & s’entendroient bien mieux encore, si l’oreille ne les confondoit quelquefois avec le son principal.] auxquels on à donne les noms de mi & de sol. J’écris à part ces trois noms, & cherchant un tuyau à la quinte du premier, qui rende le même son que je viens d’appeller sol ou son octave, j’en trouve un de dix pieds huit pouces de longueur, lequel, outre le son principal sol, en rend aussi deux autres, mais plus foiblement; je les appel le si & re, & je trouve qu’ils sont précisément en même rapport avec le sol, que le sol & le mi l’etoient avec l’ut; je les écris à la suite des autres, omettant comme inutile d’écrire le sol une seconde fois. Cherchant un troisieme tuyau à l’unisson de la quinte re, je trouve qu’il rend encore deux autres sons outre le son principal re, & toujours en même proportion que les précédens; je les appelle fa & la* [*Le fa qui fait la tierce majeure du re se trouve, par conséquent, dièse dans cette progression, & il faut avouer qu’il n’est pas aise de développer l’origine du fa naturel considère comme quatrieme note du ton: mais il y auroit là-dessus des observations à faire qui nous méneroient loin & qui ne seroient pas propres à cet ouvrage. Au reste, nous devons d’autant moins nous arrêter à cette légère exception, qu’on peut démontrer que le fa naturel ne sauroit être traite dans le ton d’ut que comme dissonance ou préparation à la dissonance.] & je [264] les écris encore à la suite des précédens. En continuant de même sur le la, je trouverois encore deux autres sons: mais comme j’apperçois que la quinte est ce même me qui à fait la tierce du premier son ut je m’arrête-la, pour ne pas redoubler inutilement mes expériences, & j’ai les sept noms suivans, répondans au premier son ut & aux six autres j’ai trouves de deux en deux.

Ut, mi, sol, si, re, fa, la.

Rapprochant ensuite tous ces sons par octaves, dans les trouve ranges de cette sorte,

Ut, re, mi, fa, sol, la, si.

Et ces sept notes ainsi rangées, indiquent justement le progrès diatonique affecte au mode majeur, par la nature même: or, comme le premier son ut à servi de principe & de base à tous les autres, nous le prendrons pour ce son fondamental que nous avions cherche, parce qu’il est bien réellement la source & l’origine d’ou sont émanes tous ceux qui le suivent. Parcourir ainsi tous les sons de cette échelle, en commençant & finissant par le son fondamental, & en préférant toujours les premiers engendres aux derniers; c’est ce qu’on appelle moduler dans le ton d’ut majeur, & c’est-là proprement la gamme fondamentale, qu’on est convenu d’appeller naturelle préférablement aux autres, & qui sert de regle de comparaison, pour y conformer les sons fondamentaux de tous les tons pratiquables. Au reste: il est bien évident qu’en prenant le son rendu par tout autre tuyau pour [265] le son fondamental ut nous serions parvenus par des sons différens à une progression toute semblable, & que, par conséquent, ce chon’est que de pure convention & tout aussi arbitraire que celui d’un tel ou tel méridien pour déterminer les degrés de longitude.

Il suit de-là, que ce que nous avons fait et prenant ut pour base de notre opération, nous le pouvons faire de même en commençant par un des six sons qui le suivent, à notre choix, & qu’appellant ut ce nouveau son fondamental, nous arriverons à la même progression que ci-devant, & nous trouverons tout de nouveau,

Ut, re, mi, fa, sol, la, si.

Avec cette unique différence que ces derniers sons étant places à l’égard de leur son fondamental de la même maniere que les précédens l’étoient à l’égard du leur, & ces deux sons fondamentaux étant pris sur differéns tuyaux, il s’ensuit que leurs sons correspondans sont aussi rendus par différens tuyaux, & que le premier ut par exemple, n’étant pas le même que le second, le premier re n’est pas non plus le même que le second.

A présent l’un de ces deux tons étant pris pour le naturel, si vous voulez savoir ce que les différens sons du second sont à l’égard du premier, vous n’avez qu’à chercher à quel son naturel du premier ton se rapporte le fondamental du second, & le même rapport subsistera toujours entre les sons de même dénomination de l’un & de l’autre ton dans les octaves correspondantes. Supposant, par exemple, que l’ut du second [266] ton, soit un sol au naturel, c’est-à-dire à la quinte de l’ut naturel, le re du second ton sera surement un la naturel, c’est-a-dire, la quinte du re naturel, le misera un si, le fa un ut &c. & alors on dira qu’on est au ton majeur de sol, c’est-a-dire, qu’on à pris le sol naturel pour en faire le son fondamental d’un autre ton majeur.

Mais si, au lieu de m’arrêter en la dans l’expérience des trois sons rendus par chaque tuyau, j’avois continue ma progression de quinte en quinte jusqu’à me retrouver au premier ut d’ou j’etois parti d’abord, ou à l’une de ses octaves, alors j’aurois passe par cinq nouveaux sons altérés des premiers, lesquels sont avec eux la somme de douze sons différens renfermes dans l’étendue de l’octave, & faisant ensemble ce qu’on appelle les douze cordes du système chromatique.

Ces douze sons répliqués à différentes octaves, font toute l’étendue de l’échelle générale, sans qu’il puisse jamais s’en présenter aucun autre, du moins dans le système tempéré, puisqu’après avoir parcouru de quinte en quinte tous les sons que les tuyaux faisoient entendre, je suis arrive à la replique du premier par lequel j’avois commence, & que, par conséquent, en poursuivant la même opération, je n’aurois jamais que les répliqués, c’est-a-dire, les octaves des sons précédens.

La méthode que la nature m’à indiquée, & que j’ai suivie pour trouver la génération de tous les sons pratiques la Musique, m’apprend donc en premier lieu, non pas à trouver un son fondamental, proprement dit, qui n’existe point, mais à tirer d’un son établi par convention tous les mêmes avantages qu’il pourroit avoir s’il etoit réellement fondamental, [267] c’est-à-dire, à en faire réellement l’origine & le générateur de tous les autres sons qui sont en usage & qui n’y peuvent être qu’en conséquence de certains rapports détermines qu’ils ont avec lui, comme les touches du clavier à l’égard du C sol ut.

Elle m’apprend en second lieu, qu’après avoir détermine le rapport de chacun de ces sons avec le fondamental, on peut à son tour le considérer comme fondamental lui-même, puisque le tuyau qui le rend, faisant entendre sa tierce majeure & sa quinte aussi bien que le fondamental, on trouve, en partant de ce sons-là comme générateur, une gamme qui ne diffère en rien, quant à sa progression de la gamme, établie en premier lieu; c’est-a-dire, en un mot, que chaque touche du clavier peut & doit même être considérée sous deux sens tout-a-fait différens; suivant le premier, cette touche représenté un son relatif au C sol ut & qui, en cette qualité, s’appelle re, ou mi, ou sol, &c. selon qu’il’est le second, le troisieme ou le cinquieme degré de l’octave renfermée entre deux ut naturels. Suivant le second sens elle est le fondement d’un majeur, & alors elle doit constamment porter le nom d’ut & toutes les autres touches ne devant être considérées que par les rapports qu’elles ont avec la fondamentale, c’est un rapport qui détermine alors le nom qu’elles doivent porter suivant le degré qu’elles occupent: comme l’octave renferme douze sons, il faut indiquer celui qu’on choisit, & alors c’est un la ou un re,&c. naturel, cela détermine le son: mais quand il faut le rendre fondamental & y fixer le ton, alors c’est constamment un ut & cela détermine le progrès.

[268] Il résulté de cette explication que chacun des doute sons de l’octave peut être fondamental ou relatif, suivant la maniere dont il sera employé, avec cette distinction que la disposition de l’ut naturel dans l’échelle des tons, le rend fondamental naturellement, mais qu’il peut toujours devenir relatif à tout autre son que son voudra choisir pour fondamental; au lieu que ces autres sons naturellement relatifs à celui d’ut, ne deviennent fondamentaux que par une détermination particuliere. Au reste; il est évident que c’est la nature même qui nous conduit à cette distinction de fondement & de rapports dans les sons: chaque son peut être fondamental naturellement puisqu’il fait entendre les harmoniques, c’est-a-dire, sa tierce majeure & sa quinte, qui sont les cordes essentielles du ton dont il est le fondement, & chaque son peut encore être naturellement relatif, puisqu’il n’en est aucun qui ne soit une des harmoniques ou des cordes essentielles d’un son fondamental, & qui n’en puisse être engendre en cette qualité. On verra dans la suite pourquoi j’ai insiste sur ces observations.

Nous avons donc douze sons qui servent de fondemens ou de toniques aux douze tons majeurs, pratiques dans la Musique, & qui, en cette qualité, sont parfaitement semblables quant aux modifications qui résultent de chacun d’eux, traite comme fondamental, à regard du mode mineur, il ne tous est point indique par la nature, & comme nous ne trouvons aucun son qui en fasse entendre les nous ne pouvons concevoir qu’il n’à point de son fondamental absolu, & qu’il ne peut exister qu’eu vertu du rapport qu’il [269]a avec majeur dont il est engendre, comme il est aise de le faire voir.* [*voyez M. Rameau nouv. Syst. P. 21 & tr. De l’Har. P.12. & 13.]

Le premier objet que nous devons donc nous proposer dans l’institution de nos nouveaux signes, c’est d’en imaginer d’abord un qui désigne nettement, dans toutes les occasions, la corde fondamentale que l’on prétend établir, & le rapport qu’elle à avec la fondamental de comparaison, c’est-a-dire, avec l’ut naturel.

Supposons ce signe déjà choisi. La fondamentale étant déterminée, il s’agira d’exprimer tous les autres sons par le rapport qu’ils ont avec elle, car c’est elle seule qui en détermine le progrès & les altérations: ce n’est pas, à la vérité, ce qu’on pratique dans la Musique ordinaire, ou les sons sont exprimes constamment par certains noms détermines, qui ont un rapport direct aux touches des instrumens & à la gamme naturelle, sans égard au ton ou l’on est, ni à la fondamentale qui le détermine: mais comme il est ici question de ce qu’il convient le mieux de faire, & non pas de ce qu’on fait actuellement, est-on moins en droit de rejetter une mauvaise pratique, si je fais voir que celle que je lui substitue mérite la préférence qu’on le serait de quitter un mauvais guide pour un autre qui vous montreroit un chemin plus commode & plus court? Et ne se moqueroit-on pas du premier s’il vouloit vous contraindre à le suivre toujours, par cette unique raison, qu’il vous égare depuis long-tems?

Ces considérations nous menent directement au choix des chiffres pour exprimer les sons de la Musique, puisque les [270] chiffres ne marquent que des rapports, & que rapports, & que l’expression des sons n’est aussi que celle des rapports qu’ils ont ente’eux. Aussi avons-nous déjà remarque que les Grecs ne se servoient des lettres de leur Alphabet à cet usage, que parce que ces lettres etoient en même tems les chiffres de leur arithmétique, au lieu que les caracteres de notre Alphabet ne portant point communément avec eux les idées de nombre, ni de rapports, ne seroient pas, à beaucoup près, si propres à les exprimer.

Il ne faut pas s’étonner après cela si l’on à tente si souvent de substituer les chiffres aux notes de la Musique; c’etoit assurément le service le plus important, que l’on eut pu rendre à cet Art, si ceux qui l’ont entrepris avoient eu la patience ou les lumieres nécessaires pour embrasser un système général dans toute son étendue. Le grand nombre de tentatives qu’on à faites sur ce point, fait voir qu’on sent depuis long-tems les defaults des caractères établis. Mais il fait voir encore qu’il est bien plus aise de les appercevoir que de les corriger; faut-il conclure de-la que la chose est impossible?

Nous voilà donc déjà détermines sur le choix des caracteres; il est question maintenant de réfléchir sur la maniere de les appliquer. Il est sur que cela demande quelque soin: car s’il n’etoit question que d’exprimer tous les sons par autant de chiffres différens, il n’y auroit pas-là grande difficulté: mais aussi n’y auroit-il pas non plus grand mérite, & ce seroit ramener dans la Musique une confusion encore pire que celle qui naît de la position des notes.

Pour m’éloigner le moins qu’il est possible de l’esprit de la [271] méthode ordinaire, je ne ferai d’abord attention qu’au clavier naturel, c’est-a-dire, aux touches noires de l’Orgue & du Clavecin, réservant pour les autres des signes d’altération semblables à ceux qui se pratiquent communément. Ou plutôt, pour me fixer par une idée plus universelle, je considererai seulement le progrès & le rapport des sons affectés au mode majeur, faisant abstraction à la modulation & aux changemens de ton, bien sur qu’en faisant régulièrement l’application de mes caracteres, la fécondité de mon principe suffira à tout.

De plus: comme toute l’étendue du clavier n’est qu’une faite de plusieurs octaves redoublées, je me contenterai d’en considérer une à part, & je chercherai ensuite un moyen d’appliquer successivement à toutes, les mêmes caracteres que j’aurai affectes aux sons de celle-ci. Par-la, je me conformerai à la fois à l’usage qui donne les mêmes noms aux notes correspondantes des différentes octaves, à mon oreille qui se plaît à les sons, à la raison qui me fait voir les mêmes rapports multiplies entre les nombres qui les expriment, & enfin, je corrigerai un des grands défauts de la Musique ordinaire, qui est d’anéantir par une position vicieuse l’analogie & la ressemblance qui doit toujours se trouver entre les différentes octaves.

Il y à deux manieres de considérer les sons & les rapports qu’ils ont entr’eux; l’une, par leur génération, c’est-a-dire, par les différentes longueurs, des cordes ou des tuyaux qui les sont entendre; & l’autre, par les intervalles qui les séparent du grave à l’aigu.

A l’égard de la premiere, elle ne sauroit être de nulle conséquence [272] l’établissement de nos signes; soit parce qu’il faudroit de trop grands nombres pour les exprimer; soit enfin, parce que de tels nombres ne sont de nul avantage pour la facilite de l’intonation, qui doit être ici notre grand objet.

Au contraire, la seconde maniere de considérer les sons par leurs intervalles, renferme un nombre infini d’utilités: c’est sur elle qu’est sonde le système de la position, tel qu’il est pratique actuellement. Il est vrai que, suivant ce système, les notes n’ayant rien en elles-mêmes, ni dans l’espace qui les sépare, qui vous indique clairement le genre de l’intervalle, il faut anoner un tems infini avant que d’avoir acquis toute l’habitude nécessaire pour le reconnoître au premier coup-d’oeil. Mais comme ce défaut vient uniquement du mauvais choix des signes, on n’en peut rien conclure contre le principe sur lequel ils sont établis, & l’on verra bientôt comment, au contraire, on tire de ce principe tous les avantages qui peuvent rendre l’intonation aisée à apprendre & à pratiquer.

Prenant ut pour ce son fondamental, auquel tous les autres doivent se rapporter, & l’exprimant par le chiffre 1, nous aurons à sa suite l’expression des sept sons naturels, ut, re, mi, fa, sol, la, si, par les sept chiffres, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7; de façon que tant que le chant roulera dans l’étendue de ces sept sons; il suffira de les noter chacun par son chiffre correspondant, pour les exprimer tous sans équivoque.

Il est évident que cette maniere de noter, conserve pleinement l’avantage si vante de la position: car, vous connoissez à l’oeil, aussi clairement qu’il est possible, si un son est plus [273] haut ou plus bas qu’un autre; vous voyez parfaitement qu’il faut monter pour aller de l’1 au 5, & qu’il faut descendre pour aller du 4 au 2: cela ne souffre pas la moindre replique.

Mais je ne m’étendrai pas ici sur cet article, & je me contenterai de toucher, à la fin de cet Ouvrage, les principales réflexions qui naissent de la comparaison des deux méthodes; si l’on suit mon projet avec quelque attention, elles se présenteront d’elles-mêmes à chaque instant, &, en laissant à mes Lecteurs le plaisir de me prévenir, j’espere de me procurer la gloire d’avoir pense comme eux.

Les sept premiers chiffres ainsi disposes, marqueront; outre les degrés de leurs intervalles, celui que chaque son occupe à l’égard du son fondamental ut de façon qu’il n’est aucun intervalle dont l’expression par chiffres ne vous présente un double rapport, le premier, entre les deux sons qui le composent, & le second, entre chacun d’eux & le ton fondamental.

Soit donc établi que le chiffre que s’appellera toujours ut 2, s’appellera toujours re, 3, toujours mi, &c. conformément à l’ordre suivant.

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.

ut, re, mi, fa, sol, la, si.

Mais quand il est question de sortir de cette étendue, pour passer dans d’autres octaves, alors cela forme une nouvelle difficulté; car il faut nécessairement multiplier les chiffres, ou suppléer à cela par quelque nouveau signe qui détermine l’octave ou l’on chante, autrement l’ut d’en-haut étant écrit 1, aussi-bien que l’ut d’en-bas, le Musicien ne pourroit éviter [274] de les confondre, & l’équivoque auroit lieu nécessairement.

C’est ici le cas ou la position peut être admise avec les avantages qu’elle à dans la Musique ordinaire, sans en conserver ni les embarras, ni la difficulté. Etablissons une ligne horizontale, sur laquelle nous disposerons toutes les notes renfermées dans la même octave, c’est-a-dire, depuis & compris l’ut d’en-bas jusqu’à celui d’en-haut exclusivement. Faut-il passer dans l’octave qui commence à l’ut d’en-haut? Nous placerons nos chiffes au-dessus de la ligne. Voulons-nous, au contraire, passer dans l’octave inférieure laquelle commence en descendant par le si, qui suit l’ut pose sur la ligne? Alors nous les placerons au-dessous de la même ligne; c’est-a-dire, que la position qu’on est contraint de changer à chaque degré dans la Musique ordinaire, ne changera dans la mienne qu’à chaque octave, & aura, par conséquent, six sois moins de combinaisons.

(Voyez la Planche: Example 1.)

Après ce premier ut je descens au sol de l’octave inférieure: je reviens à mon ut &, après avoir fait le mi & le sol de la même octave, je passe à l’ut d’en-haut, c’est-a-dire, à l’ut qui commence l’octave supérieure: je redescens ensuite jusqu’au sol d’en-bas par lequel le reviens finir à mon premier ut.

Vous pouvez voir dans ces exemples (Voyez la Pl. Ex 1 & 2) comment le progrès de la voix est toujours annonce aux yeux, ou par les différentes valeurs des chiffres, s’ils sont de la même octave, ou par leurs différentes positons, si leurs octaves sont différentes.

Cette mécanique est si simple qu’on la conçoit du premier [275] regard, & la pratique en est la chose du monde la plus aisée. Avec une seule ligne vous modulez dans l’étendue de trois octaves, & s’il se trouvoit que vous voulussiez passer encore au-delà, ce qui n’arrivera gueres dans une Musique sage, vous avez toujours la liberté d’ajouter des lignes accidentelles en haut & en bas, comme dans la Musique ordinaire, avec la différence que dans celle-ci il faut onze lignes pour trois octaves, tandis qu’il n’en faut qu’une dans la mienne, & que je puis exprimer l’étendue de cinq, six, & près de sept octaves, c’est-a-dire, beaucoup plus que n’à d’étendue le grand clavier, avec trois lignes seulement.

Il ne faut pas confondre la position, telle que ma méthode l’adopte, avec celle qui se pratique dans la Musique ordinaire: les principes en sont tout différens. La Musique ordinaire n’à en vue que de vous indiquer des intervalles & de disposer en quelque façon vos organes par l’aspect du plus grand ou éloignement des notes, sans s’embarrasser de distinguer assez bien le genre de ces intervalles, ni le degré de cet éloignement, pour en rendre la connoissance indépendante de l’habitude. Au contraire, la connoissance des intervalles qui fait proprement le fond de la science du Musicien m’à paru un point si important, que j’ai cru en devoir faire l’objet essentiel de ma méthode. L’explication suivante montre comment on parvient par mes caracteres à déterminer tous les intervalles possibles par leurs genres & par leurs noms, sans autre peine que celle de lire une fois ces remarques.

Nous distinguons d’abord les intervalles en directs & renverses & les uns & les autres encore en simples et redoublés. [276] Je vais définir chacun de ces intervalles considère dans mon système.

L’intervalle direct est celui qui est compris entre deux sons, dont les chiffres sont d’accord avec le progrès, c’est-a-dire, que le son le plus haut doit avoir aussi le plus grand chiffre, & le son le plus bas, le chiffre le plus petit. (Voyez la pl Exemp.3)

L’intervalle renverse est celui dont le progrès est contrarie par les chiffres, c’est-a-dire que si l’intervalle monte le second chiffre est le plus petit, & si l’intervalle descend le second chiffre est le plus grand.

(Voyez la Pl. Ex. 4.)

L’intervalle simple est celui qui ne passe pas l’étendue d’une octave.(Voyez la Pl. Ex. 5.)

L’intervalle redouble est celui qui passe l’étendue d’une octave. Il est toujours la replique d’un intervalle simple, (Voyez la Pl.Exemple 6.)

Quand vous entrez d’une octave dans la suivante, c’est-a-dire que vous passez de la ligne au-dessus ou au-dessous d’elle, ou vice-versa, l’intervalle est simple s’il est renverse, mais s’il est direct il sera toujours redouble.

Cette courte explication suffit pour connoître à fond le genre de tout intervalle possible. Il faut à présent rapprendre à en trouver le nom sur le champ.

Tous les intervalles peuvent être considères, comme formes des trois premiers intervalles simples, qui sont la seconde, la tierce, la quarte; dont les complemens à l’octave sont la septieme, la sixte & la quinte; à quoi, si vous ajoutez cette octave elle-même, vous aurez tous les intervalles simples sans exception.

[277] Pour trouver donc le nom de tout intervalle simple direct, il ne faut qu’ajouter l’unité à la différence des deux chiffres qui expriment. Soit, par exemple, cet intervalle 1, 5; la différence des deux chiffres est 4, à quoi ajoutant l’unité vous avez 5, c’est-a-dire, la quinte pour le nom de cet intervalle; il en seroit de même si vous aviez eu 1, 6; ou 7, 3, &c. Soit cet autre intervalle 4, 5; la différence est 1, à quoi ajoutant l’unité vous avez 2, c’est-a-dire, une seconde pour le nom de cet intervalle. La regle est générale.

Si l’intervalle direct est redouble, après avoir procède comme ci-devant, il faut ajouter 7 pour chaque octave, & vous aurez encore très-exactement le nom de votre intervalle: par exemple, vous voyez déjà que - 1 - 3 est une tierce redoublée, ajoutez donc 7 à 3, & vous aurez 10, c’est-a-dire une dixieme pour le nom de votre intervalle.

Si l’intervalle est renverse, prenez le complément du direct, c’est le nom de votre intervalle: ainsi, parce que la sixte est le complément de la tierce, & que cet intervalle 1 - 3, est une tierce renversée, je trouve que c’est une sixte; si de plus il est redouble, ajoutez-y autant de fois 7 qu’il y à d’octaves. Avec ce peu de regles, dans quelque cas que vous soyez, vous pouvez nommer sur le champ & sans le moindre embarras quelque intervalle qu’on vous présente.

Voyons donc, sur ce que je viens d’expliquer, à quel point nous sommes parvenus dans l’art de solfier par la méthode que je propose.

D’abord toutes les notes sont connues sans exception; il n’à pas falu bien de la peine pour retenir les noms de sept [278] caracteres uniques, qui sont les seuls dont on ait à charger sa mémoire pour l’expression des sons; qu’on apprenne à les entonner juste en montant & en descendant, diatoniquement & par intervalles, & nous voilà tout d’un coup débarrasses des difficultés de la position.

A le bien prendre, la connoissance des intervalles, par rapport à la nomination, n’est pas d’une nécessité absolu, pourvu qu’on connoisse bien le ton d’ou l’on part, & qu’on fache trouver celui ou l’on va. On peut entonner exactement l’ut le fa sans savoir qu’on fait une quarte: & surement cela seroit toujours bien moins nécessaire par ma méthode que par la commune, ou la connoissance nette & précise des notes ne peut suppléer à celle des intervalles; au lieu que dans la mienne quand l’intervalle seroit inconnu, les deux notes qui le composent seroient toujours évidentes, sans qu’on put jamais s’y tromper dans quelque ton & à quelque clef que l’on fut. Cependant tous les avantages se trouvent ici tellement réunis, qu’au moyen de trois ou quatre observations très-simples, voilà mon Ecolier en état de nommer hardiment tout intervalle possible, soit sur la même partie, soit en sautant de d’une à l’autre, & d’en savoir plus à cet égard dans une heure d’application, que des Musiciens de dix & douze ans de pratique: car on doit remarquer, que les opérations dont je viens de parler se sont tout d’un coup par l’esprit & avec une rapidité bien éloignée des longues gradations indispensables dans la Musique ordinaire, pour arriver à la connoissance des intervalles, & qu’enfin les regles seroient toujours préférables à l’habitude, soit pour la certitude, soit pour la brièveté, [279] quand même elles ne feroient que produire le même effet.

Mais ce n’est rien d’être parvenus jusqu’ici: il est d’autres objets à considérer & d’autres difficultés à surmonter.

Quand j’ai ci-devant affecte le nom d’ut au son fondamental de la gamme naturelle, je n’ai fait que me conformer à l’esprit de la premiere institution du nom des notes, & à l’usage général des Musiciens, & quand j’ai dit que la fondamentale de chaque ton avoit le même droit de porter le nom d’ut que ce premier son, à qui il n’est affecte par aucune propriété particuliere, j’ai encore été autorise par la pratique universelle de cette méthode, qu’on appelle transposition, dans la Musique vocale.

Pour effacer tout scrupule qu’on pourroit concevoir à cet égard, il faut expliquer ma pensée avec un peu plus d’étendue: le none d’ut doit-il être nécessairement & toujours celui d’une touche fixe du clavier, ou doit-il au contraire être applique préférablement à la fondamentale de chaque ton, c’est la question qu’il s’agit de discuter.

A l’entendre énoncer de cette maniere, on pourroit, peut-être, s’imaginer que ce n’est ici qu’une question de mots. Cependant elle influe trop dans la pratique pour être méprisée: il s’agit moins des noms en eux-mêmes, que de déterminer les idées qu’on leur doit attacher, & sur lesquelles on n’à pas été trop bien d’accord jusqu’ici.

Demandez à une personne qui chante, ce que c’est qu’une telle vous dira que c’est le premier ton de la gamme demandez la même chose à un joueur d’instrumens, il vous [280] répondra que c’est une telle touche de son Violon ou de son Clavecin. Ils ont tous deux raison; ils s’accordent même en qu’ils un sens, & s’accorderoient tout-a-fait, si l’un ne se representoit pas cette gamme comme mobile, & l’autre cet ut comme invariable.

Puisque l’on est convenu d’un certain ton à-peu-près fixe pour y régler la portée des voix & le diapason des instrumens, il faut que ce son ait nécessairement un nom, & un fixe comme le son qu’il exprime; donnons-lui le nom d’ut: j’y consens. Réglons ensuite sur ce nom-la tous ceux des différens sons de l’échelle générale afin que nous puissions indiquer le rapport qu’ils ont avec lui & avec les différentes touches des instrumens; j’y consens encore; & jusque-là le symphoniste à raison.

Mais ces sons auxquels nous venons de donner des noms, & ces touches qui les sont entendre, sont disposes de telle maniere qu’ils ont entr’eux & avec la touche ut certains rapports qui constituent proprement ce qu’on appelle ton, & ce ton dont ut est la fondamentale est celui que sont entendre les touches noires de l’Orgue & du Clavecin quand on les joue dans un certain ordre, sans qu’il soit possible d’employer toutes les mêmes touches pour quelque autre ton dont ut ne seroit pas la fondamentale, ni d’employer dans celui noms celui d’ut aucune des touches blanches du clavier lesquelles n’ont même aucun nom propre, & en prennent de différens, s’appellant tantôt dièses & tantôt, bémols suivant les tons dans lesquels elles sont employées.

Or quand on veut établir une autre fondamentale, i1 faut [281] nécessairement faire un tel choix des sons qu’on veut employer, qu’ils aient avec elle précisément les mêmes rapports que le re, le me, le sol, & tous les autre sons de la gamme naturelle avoient avec l’ut. C’est le cas ou le Chanteur à droit de être au Symphoniste: pourquoi ne vous servez-vous pas des mêmes noms pour exprimer les mêmes rapports? Au reste, je crois peu nécessaire de remarquer qu’il faudroit toujours déterminer la fondamentale par son nom naturel, & que c’est seulement après cette détermination qu’elle prendroit le nom d’ut.

Il est vrai qu’en affectant toujours les mêmes noms aux mêmes touches de l’instrument & aux mêmes notes de la Musique, il semble d’abord qu’on établit un rapport plus direct entre cette note & cette touche, & que l’une excite plus aisément l’idée de l’autre qu’on ne seroit en cherchant toujours une égalité de rapports entre les chiffres des notes & le chiffre fondamental d’un cote, & de l’autre, entre le son fondamental & les touches de l’instrument.

On peut voir que je ne tâche pas d’énerver la force de l’objection: oserai je me flatter à mon tour que les préjugés n’ôteront rien à celle de mes réponses?

D’abord je remarquerai que le rapport fixe par les mêmes noms entre les touches de l’instrument & les notes de la Musique à bien des exceptions & des difficultés auxquelles on ne fait pas toujours assez d’attention.

Nous avons trois clefs dans la Musique, & ces trois clefs ont huit positions, ainsi, suivant ces différentes positions, voilà huit touches différentes pour la même position, & huit [282] positions pour la même touche & pour chaque touche de l’instrument: il est certain que cette multiplication d’idées nuit à leur netteté; il y à même bien des Symphonistes qui ne les possédent jamais toutes à un certain point, quoique toutes les huit clefs soient d’usage sur plusieurs instrumens.

Mais renfermons-nous dans l’examen de ce qui arrive sur une seule clef. On s’imagine que la même note doit toujours exprimer l’idée de la même touche, & cependant cela est très-faux: car par des accidens fort communs, causes par les dièses & les bémols, il arrive à tout moment, non-seulement que la note si devient la touche ut que la note mi devient la touche sa & réciproquement, mais encore qu’une note diésée à la clef & diésée par accident monte d’un ton tout entier, qu’un fa devient un sol, un ut un re, &c. & qu’au contraire par un double bémol un mi deviendra un re, un si un la & ainsi des autres. Ou en est donc la précision de nos idées? Quoi! je vois un sol & il saut que je touche un la! Est-ce la ce rapport si juste, si vante, auquel on veut sacrifier celui de la modulation?

Je ne nie pas cependant qu’il n’y ait quelque chose de très-ingénieux dans l’invention des accidens ajoutes à la clef pour indiquer, non pas les différens tons, car ils ne sont pas toujours connus par-la, mais les différentes altérations qu’ils causent. Ils n’expliquent pas mal la théorie des progressions, c’est dommage qu’ils fassent acheter si cher cet avantage par la peine qu’ils donnent dans la pratique du chant & des instrumens. Que me sert, à moi, de savoir qu’un tel demi-ton à change de place, & que de-la on l’à transporte la pour en [283] faire une note sensible, une quatrieme ou une sixieme note; si d’ailleurs je ne puis venir à bout de l’exécuter sans me donner la torture, & s’il faut que je me souvienne exactement de ces cinq dièses ou de ces cinq bémols pour les appliquer à toutes les notes que je trouverai sur les mêmes positions ou à l’octave, & cela précisément dans le tems que l’exécution devient la plus embarrassante par la difficulté particuliere de l’instrument? Mais ne nous imaginons pas que les Musiciens se donnent cette peine dans la pratique; ils suivent une autre route bien plus commode, & il n’y à pas un habile homme parmi eux qui après avoir prélude dans le ton ou il doit jouer, ne fasse plus d’attention au degré du ton ou il se trouve & dont il connoit la progression, qu’au dièse ou au bémol qui l’affecte.

En général, ce qu’on appelle chanter & exécuter au naturel est, peut-être, ce qu’il y à de plus mal imagine dans la Musique: car si les noms des notes ont quelque utilité réelle, ce ne peut être que pour exprimer certains rapports, certaines affections déterminées dans les progressions des sons. Or, des que le ton change, les rapports des sons & la progression changeant aussi, la raison dit qu’il faut de même changer les noms des notes en les rapportant par analogie au nouveau ton, sans quoi l’on renverse le sens des noms & l’on ôte aux mots le seul avantage qu’ils puissent avoir, qui est d’exciter d’autres idées avec celles des sons. Le passage du mi au fa ou du si à l’ut, excite naturellement dans l’esprit du Musicien l’idée du demi-ton. Cependant, si l’on est dans le ton de si ou dans celui de mi, l’intervalle du si à l’ut ou du mi [284] au sa est toujours d’un ton & jamais d’un demi-ton. Donc au lieu de leur conserver des noms qui trompent l’esprit & qui choquent l’oreille exercée par une différente habitude, il est important de leur en appliquer d’autres dont le sens connu ne soit point contradictoire, & annonce les intervalles qu’ils doive exprimer. Or, tous les rapports des sons du système diatonique se trouvent exprimes dans le majeur tant en montant qu’en descendant, dans l’octave comprise entre deux ut suivant l’ordre naturel, & dans le mineur dans l’octave comprise entre deux la suivant le même ordre en descendant seulement, car et montant le mode mineur est assujetti à des affections différentes qui présentent de nouvelles réflexions pour la théorie, lesquelles ne sont pas aujourd’hui de mon sujet, & qui ne sont rien au système que je propose.

Je ne disconviens pas qu’à l’égard des instrumens ma méthode ne s’écarte beaucoup de l’esprit de la méthode ordinaire: mais comme je ne crois pas la méthode extrêmement estimable, & que je crois même d’en démontrer les défauts, il faudroit toujours avant que de me condamner par-la, se mettre en etat de me convaincre, non pas de la différence, mais du désavantage de la mienne.

Continuons d’en expliquer la mécanique. Je reconnois dans la Musique douze sons ou cordes originales, l’un desquels est le C sol ut qui sert de fondement à la gamme naturelle: prendre un des autres sons pour fondamental, c’est lui attribuer toutes les propriétés de l’ut; c’est proprement transposer la gamme naturelle plus haut ou plus bas de tant de degrés. Pour déterminer ce son fondamental je me sers [285] du mot correspondant, c’est-à-dire, du sol, du re, du la, &c. & je l’écris à la marge au haut de l’air que je veux noter: alors ce sol ou ce re qu’on peut appeller la clef, devient ut & servant de fondement à un nouveau ton & à une nouvelle gamme, toutes les notes du Clavier lui deviennent relatives, & ce n’est alors qu’en vertu du rapport qu’elles ont avec ce son fondamental qu’elles peuvent être employées.

C’est-là, quoiqu’on en puisse dire, le vrai principe auquel il faut s’attacher dans la composition, dans le prélude, & dans le Chant; & si vous prétendez conserver aux notes leurs noms naturels, il faut nécessairement que vous les considériez tout à la fois sous une double relation, savoir, par rapport au C sol ut & à la gamme naturelle, & par rapport au son fondamental particulier, sur lequel vous êtes contraint d’en régler le progrès & les altérations. Il n’y à qu’un ignorant qui joue des dièses & des bémols sans penser au ton dans lequel il est; alors Dieu fait quelle justesse il peut y avoir dans son jeu!

Pour former donc un éleve suivant ma méthode, je parle de l’instrument, car pour le Chant la chose est si aisée qu’il feroit superflu de s’y arrêter; il faut d’abord lui apprendre à connoître & à toucher par leur nom naturel, c’est-a-dire, sur le clef d’ut, toutes les touches de son instrument. Ces premiers noms lui doivent servir de regle pour trouver ensuite les autres fondamentales, & toutes les modulations possibles des tons majeurs auxquels seuls il suffit de faire attention, comme je l’expliquerai bientôt.

Je viens ensuite à la clef sol, & après lui avoir fait toucher [286] le sol, je l’avertis que ce sol devenant la fondamental du ton doit alors s’appeller ut & je lui fais parcourir sur cet ut toute la gamme naturelle en haut & en bas suivant l’étendue de son instrument: comme il y aura quelque différence dans la touche ou dans la disposition des doigts à cause du demi-ton transpose, je la lui serai remarquer. Après l’avoir exerce quelque tems sur ces deux tons, je l’amenerai à la clef re, & lui faisant appeller ut le re naturel, je lui fais recommencer sur cet ut une nouvelle gamme, & parcourant ainsi toutes les fondamentales de quinte en quinte, il se trouvera enfin dans le cas d’avoir prélude en mode majeur sur les douze cordes du système chromatique, & de connoître parfaitement le rapport & les affections différentes de toutes les touches de sort instrument sur chacun de ces douze différens tons.

Alors je lui mets de la Musique aisée entre les mains. La clef lui montre quelle touche doit prendre la dénomination d’ut, & comme il a appris à trouver le mi & le sol, &c. c’est-à-dire, la tierce majeure & la quinte, &c. sur cette fondamentale, un 3 & un 5 sont bientôt pour lui des signes familiers, & si les mouvemens lui etoient connus que l’instrument n’eut pas ses difficultés particulieres, il seroit des lors en etat d’exécuter à livre ouvert toute sorte de Musique sur tous les tons & sur toutes les clefs. Mais avant que d’en dire davantage sur cet article, il faut achever d’expliquer la partie qui regarde l’expression des sons.

A l’égard du mode mineur, j’ai déjà remarque que 1a nature ne nous l’avoit point enseigne directement. Peut-être vient-il [287] d’une de la progression dont j’ai parle dans l’expérience des tuyaux, ou l’on trouve qu’à la quatrieme quinte cet ut qui avoit servi de fondement à l’opération fait une tierce mineure avec le la qui est alors le son fondamental. Peut-être est-ce aussi de-la que naît cette grande correspondance entre le mode majeur ut & le mode mineur de sa sixieme note, & réciproquement entre le mode mineur la & le mode majeur de sa médiante.

De plus; la progression des sons affectes au mode mineur est précisément la même qui se trouve dans l’octave comprise entre deux la, puisque, suivant Monsieur Rameau, il est essentiel au mode mineur d’avoir sa tierce & sa sixte mineurs, & qu’il n’y à que cette octave ave ou, tous les autres sons étant ordonnes comme ils doivent l’être, la tierce & la sixte se trouvent mineures naturellement.

Prenant donc la pour le nom de la tonique des tons mineurs, & l’exprimant par le chiffre 6, je laisserai toujours à sa médiante ut le privilege d’être, non pas tonique, mais fondamentale caractéristique; je me conformerai en cela à la nature qui ne nous fait point connoître de fondamentale proprement dite dans les tons mineurs, & je conserverai à la fois l’uniformité dans les noms des notes & dans les chiffres qui les expriment & l’analogie qui se trouve entre les modes majeur & mineur pris sur les deux cordes ut & la.

Mais cet ut qui par la transposition doit toujours être le nom de la tonique dans les tons majeurs, & celui de la médiante dans les tons mineurs, peut, par conséquent, être pris sur chacune des douze cordes du système chromatique, [288] & pour la designer, il suffira de mettre à la marge le nom de cette corde prise sur le clavier dans l’ordre naturel. On voit par-la que si le Chant est dans le ton d’ut majeur ou de la mineur, il faudra écrire ut à la marge; si le Chant est dans le ton de re majeur ou de si mineur, il faut écrire re à la marge; pour le ton de mi majeur ou d’ut dièse mineur, on écrira mi à la marge, & ainsi de suite, c’est-a-dire, que la note écrite à la marge, ou la clef désigne précisément la touche du clavier qui doit s’appeller ut & par conséquent être tonique dans le ton majeur, médiante dans le mineur & fondamentale dans tous les deux: sur quoi l’on remarquera que: j’ai toujours appelle cet ut fondamentale & non pas tonique, parce qu’elle ne l’est que dans les tons majeurs, mais qu’elle sert également de fondement à la & au nom des notes & même aux différentes octaves dans l’un & l’autre mode: mais à le bien prendre, la connoissance de cette clef n’est d’usage que pour les instrumens & ceux qui chantent n’ont jamais besoin d’y faire attention.

Il suit de-la que la même clef sous le même nom d’ut, désigne cependant, deux tons differens, savoir, le majeur dont elle est tonique & le mineur dont elle est médiante, & dont par conséquent, la tonique est une tierce au-dessous d’elle. Il suit encore que les mêmes noms des notes & les notes affectées de la même maniere, du moins en descendant, servent également pour l’un & l’autre mode, de sorte que non-seulement on n’à pas besoin de faire une étude particuliere des modes mineurs; mais que même on seroit à la rigueur dispense de les connoître, les rapports exprimes par les [289] les mêmes chiffres n’étant point differens, quand la fondamental est tonique, que quand elle est médiante; cependant pour l’évidence du ton & pour la facilite du prélude, on écrira la clef tout simplement quand elle sera tonique, & quand elle médiante on ajoutera au-dessous d’elle une petite horizontale.(Voyez la Pl. Ex. 7, & 8.)

Il faut parler à présent des changemens de ton: mais comme les altérations accidentelles des sons s’y présentent souvent, & elles ont toujours lieu dans le mode mineur, en montant de la dominante à la tonique, je dois auparavant en expliquer les signes.

Le dièse s’exprime par une petite ligne oblique, qui croise la note en montant de gauche à droite, sol dièse, par s’exemple; s’exprime ainsi, 8 fa dièse ainsi, 4. Le bémol s’exprime aussi par une semblable ligne qui croise la note en descendant, 7, 3, & ces signes, plus simples que ceux qui sont en usage, servent encore à montrer à l’oeil le genre d’altération qu’ils causent.

Pour le bécarre, il n’est devenu nécessaire que par le mauvais choix du dièse & du bémol, parce qu’étant des caracteres sépares des notes qu’ils alterent, s’il s’en trouve plusieurs de suite, sous l’un ou l’autre de ces lignes, on ne peut jamais distinguer celles qui doivent être affectées de celles qui ne le doivent pas, sans se servir du bécarre. Mais comme par mon système, le signe de l’altération, outre la simplicité de sa figure, à encore l’avantage d’être toujours inhérent à la note altérée, i1 est clair que toutes celles auxquelles on ne le [290] verra point, devront être exécutées au ton naturel qu’elles doivent avoir sur la fondamentale ou l’on est. Je retranche donc le bécarre comme inutile, & je le retranche encore comme équivoque, puisqu’il est commun de le trouver employé en deux sens tout opposes: car les uns s’en servent pour ôter l’altération causée par les signes de la clef, & les autres, au contraire, pour remettre la note au ton qu’elle doit avoir conformément à ces mêmes signes.

A l’égard des changemens de ton soit pour passer du majeur au mineur, ou d’une tonique à une autre, il pourroit suffire de changer la clef: mais comme il est extrêmement avantageux de ne point rendre la connoissance de cette clef nécessaire à ceux qui chantent, & que, d’ailleurs, il faudroit une certaine habitude pour trouver facilement le rapport d’une clef à l’autre; voici la précaution qu’il y saut ajouter. Il n’est question que d’exprimer la premiere note de ce changement, de maniere à représenter ce qu’elle etoit dans le ton d’ou l’on sort, & ce qu’elle est dans celui ou l’on entre. Pour cela: j’écris d’abord cette premiere note entre deux doubles lignes perpendiculaires par le chiffre qui la représenté dans le ton précédent, ajoutant au-dessus d’elle la clef ou le nom de la fondamentale du ton ou l’on va entrer: j’écris ensuite cette même note par le chiffre qui l’exprime dans le ton qu’elle commence. De sorte qu’eu égard à la suite du Chant, le premier chiffre indique le ton de la note, & le second sert à en trouver le nom.

Vous voyez(Pl. Ex. 9.) non-seulement que du ton de sol vous passez dans celui d’ut, mais que la note sa du ton [291] précédent est la même que la note ut qui se trouve la premiere dans celui où vous entrez.

Dans cet autre exemple, (Voyez Pl. Ex. 10.) la premiere note ut du premier changement seroit le mi bémol du mode précédent, & la premiere note mi du second changement seroit l’ut dièse du mode précédent, comparaison très-commode pour les voix & même pour les instrumens, lesquels ont de plus l’avantage du changement de clef. On y peut remarquer aussi que dans les changemens de mode, la fondamentale change toujours, quoique la tonique reste la même; ce qui dépend des regles que j’ai expliquées ci-devant.

I1 reste dans l’étendue du clavier une difficulté dont il est tems de parler. Il ne suffit pas de connoître le progrès affecte à chaque mode, la fondamentale qui lui est propre, si cette fondamental est tonique ou médiante, ni enfin de la savoir rapporter à la place qui lui convient, dans l’étendue de la gamme naturelle; mais il faut encore savoir à quelle octave, & en un mot à quelle touche précise du clavier elle doit appartenir.

Le grand clavier ordinaire à cinq octaves d’étendue, & je m’y bornerai pour cette explication, en remarquant seulement qu’on est toujours libre de le prolonger de part & d’autre tout aussi qu’on voudra, sans rendre la note plus diffuse ni plus incommode.

Supposons-donc que je sois à la clef d’ut c’est-a-dire au son d’ut majeur, ou de la mineur qui constitue le clavier naturel. Le clavier se trouve alors dispose de sorte que depuis le premier ut d’en-bas jusqu’au dernier ut d’en-haut, je trouve [292] quatre octaves completes, outre les deux portions qui restent en haut & en bas entre l’ut & le fa, qui termine le clavier de part & d’autre.

J’appelle à, la premiere octave comprise entre l’ut d’en bas & le suivant vers la droite, c’est-a-dire, tout ce est renferme entre 1 & 7 inclusivement. J’appelle B l’octave qui commence au second ut, comptant de même vers la droite; C la troisieme, D la quatrieme, &c. jusqu’à E, ou commence une cinquieme octave qu’on pousseroit plus haut si l’on vouloir. à l’égard de la portion d’en-bas qui commence au premier fa, & se termine au premier si, comme elle est imparfaite, ne commençant point par la fondamentale, nous l’appellerons l’octave X; & cette lettre X servira dans toute sorte de tons, à designer les notes qui resteront au bas du clavier au-dessous de la premiere tonique.

Supposons que je veuille noter un air à la clef’d’ut, c’est-à-dire, au ton d’ut majeur, ou de la mineur; j’écris ut au haut de la page à la marge, & je le rends médiante ou tonique, suivant que j’y ajoute ou non la petite ligne horizontale.

Sachant ainsi quelle corde doit être la fondamentale du ton, il n’est plus plus question que de trouver dans laquelle des cinq octaves roule davantage le Chant que j’ai à exprimer, & d’en. écrire la lettre au commencement de la ligne sur laquelle je place mes notes. Les deux espaces au-dessus & au-dessous représenteront les étages contigus, & serviront pour les notes qui peuvent excéder en haut ou en bas l’octave représentée par la lettre que j’ai mise au commencement de la ligne. J’ai déjà remarque que si le Chant se trouvoit assez [293] bizarre pour passer cette étendue, on seroit toujours libre d’ajouter une ligne en haut ou en bas, ce qui peut quelquefois avoir lieu pour les instrumens.

Mais comme les octaves se comptent toujours d’une fondamentale à l’autre, & que ces fondamentales sont différentes, suivant les différens tons ou l’on est, les octaves se prennent aussi sur différons degrés, & sont, tantôt plus hautes ou plus basses, suivant que leur fondamentale est éloignes du C sol ut naturel,

Pour représenter clairement cette mécanique, j’ai joint ici (Voyez la Planche) une table générale de tous les tons du clavier, ordonnes par rapport aux douze cordes du système chromatique, prises successivement pour fondamentales.

On y voit d’une maniere simple & sensible le progrès des différens sons, par rapport au ton ou l’on est. On verra aussi par l’explication suivante, comment elle facilite la pratique des instrumens, au point de n’en faire qu’un jeu, non-seulement par rapport aux instrumens à touches marquées, comme: le Basson, le Hautbois, la Flûte, la Basse-de-Viole, & le Clavecin, mais encore à l’égard du Violon, du. Violoncelle & de toute autre espece sans exception.

Cette représenté toute l’étendue du clavier, combine sur les douze cordes: le clavier naturel, ou l’ut conserve son propre nom, se trouve ici au sixieme rang marque par une étoile à chaque extrémité, & c’est à ce rang que tous les autres doivent se rapporter, comme au terme commun de comparaison. On voit qu’il s’étend depuis le fa d’en-bas: jusqu’à celui d’en-haut, à la distance de cinq octaves, qui sont ce qu’an appelle le grand clavier.

[294] J’ai déjà dit que l’intervalle compris depuis le premier 1 jusqu’au premier 7 qui le suit vers la droite, s’appelle à; que l’intervalle compris depuis le second 1 jusqu’à l’autre 7, s’appelle l’octave B; l’autre, l’octave C, &c. jusqu’au cinquieme 1, ou commence l’octave E, que je n’ai portée ici que jusqu’au fa. à l’égard des quatre notes qui sont à la gauche du premier ut j’ai dit encore qu’elles appartiennent à l’octave X, à laquelle je donne ainsi une lettre hors de rang, pour exprimer que cette octave n’est pas complete, parce qu’il faudroit pour parvenir jusqu’à l’ut, descendre plus bas que le clavier ne le permet.

Mais si je suis dans un autre ton, comme, par exemple, à la clef de re, alors ce rechange de nom & devient ut, c`est pourquoi l’octave A, comprise depuis la premiere tonique jusqu’à sa septieme note, est d’un degré plus élevée que le octave correspondante du ton précédent, ce qu’il est aise de voit par la table, puisque cet ut du troisieme rang, c’est-à-dire de la clef de re, correspond au re de la clef naturelle d’ut, sur lequel il tombe perpendiculairement, & par la même raison, l’octave X y à plus de notes que la même octave de la clef d’ut, parce que les octaves en s’élevant davantage, s’éloignent de la plus basse note du clavier.

Voilà pourquoi les octaves montent depuis la clef d’ut jusqu’à la clef de mi, & descendent depuis la même clef d’ut jusqu’à celle de sa; car ce sa qui est la plus basse note du clavier, devient alors fondamentale, & commence, par conséquent, la premiere octave A.

Tout ce qui est donc compris entre les deux premiers [295] lignes obliques vers la gauche, est toujours de l’octave A, mais à différens degrés, suivant le ton ou l’on est. La même touche, par exemple, sera ut dans le ton majeur de mi, re dans celui de re, mi dans celui d’ut, fa dans celui de si, sol dans celui de la, la dans celui de sol, si dans celui de fa. C’est toujours la même touche, parce que c’est la même colonne, & c’est la même octave, parce que cette colonne est renfermée entre les mêmes lignes obliques. Donnons un exemple de la façon d’exprimer le ton, l’octave & la touche sans équivoque. (Voyez la PL Exemple 11.)

Cet exemple est à la clef de re, il faut donc le rapporter au quatrieme rang, répondant à la même clef, l’octave B, marquée sur la ligne, montre que l’intervalle supérieur dans lequel commence le chant, répond à l’octave supérieure C: ainsi la note 3, marquée d’un à dans la table, est justement celle qui répond à la premiere de cet exemple. Ceci suffit pour faire entendre que dans chaque partie on doit mettre sur le commencer de ligne, la lettre correspondante à l’octave, dans laquelle le chant de cette partie roule le plus, & que les espaces qui sont au-dessus & au-dessous, seront pour les octave, supérieure & inférieure.

Les lignes horizontales servent à séparer, de demi-ton en demi-ton, les différentes fondamentales, dont les noms sont écrits à la droite de la table.

Les lignes perpendiculaires montrent que toutes les note traversées de la même ligne, ne sont toujours qu’une même touche, dont le nom naturel, si elle en à un, se trouve au sixieme rang, & les autres noms dans les autres rangs de la [296] même colonne suivant les différens tons ou l’on est. Ces lignes perpendiculaires sont de deux sortes; les unes noires, qui servent à montrer que les chiffres qu’elles joignent représentent une touche naturelle, & les autres ponctuées, qui sont pour les touches blanches ou altérées, de façon qu’en quelque ton que l’on soit, on peut connoître sur le champ, par le moyen de cette table, quelles sont les notes qu’il saut altérer pour exécuter dans ce ton-là.

Les clefs que vous voyez au commencement, servent à déterminer quelle note doit porter le nom d’ut, & à marquer le ton comme je l’ai déjà dit; il y en à cinq qui peuvent être doubles, parce que le bémol de la supérieure marque b, & le dièse de l’inférieure marque d, produisent le même effet.* [*Ce n’est qu’en venu du tempérament que!a même touche peut servir de dièse à l’une & de bémol à l’autre, puisque d’ailleurs, personne n’ignore que la somme de deux demi-tons mineurs ne sauroient faire un ton.] Il ne sera pas mal cependant de s’en tenir aux dénominations que j’ai choisies, & qui, abstraction faite de tout autre raison, sont du moins préférables, parce qu’elles sont les plus usitées.

Il est encore aise, par le moyen de cette table, de marquer précisément l’étendue de chaque partie, tant vocale qu’instrumentale, & la place qu’elle occupera dans ces différentes octaves suivant le ton ou l’on sera.

Je suis convaincu qu’en suivant exactement les principe que je viens d’expliquer, il n’est point de Chant qu’on ne soit en Etat de solfier en très-peu de tems, & de trouver de même sur quelque instrument que ce soit, avec toute la facilite [297] possible. Rappellons un peu en détail ce que j’ai dit sur cet article.

Au lieu de commencer’d’abord à faire exécuter machinalement des Airs à cet Ecolier; au lieu de lui faire toucher, tantôt des dièses, tantôt des bémols, sans qu’il puisse concevoir pourquoi il le fait, que le premier soin du Maître soit de lui faire connoître à fond tous les sons de son instrument, par rapport aux différens tons sur lesquels ils peuvent être pratiques.

Pour cela, après lui avoir appris les noms naturels de toutes les touches de son instrument, il faut lui présenter un autre point de vue, & le rappeller à un principe général, Il connoit déjà tous les sons de l’octave suivant l’échelle naturelle, il est question, à présent, de lui en faire faire l’analyse. Supposons-le devant tin Clavecin. Le clavier est divise en soixante & une touches: on lui explique que ces touches prises successivement, & sans distinction de blanches ni de noires, expriment des sons qui, de gauche à droite, vont en s’élevant de demi-ton en demi-ton. Prenant la touche ut pour fondement de notre opération, nous trouverons toutes les autres de l’échelle naturelle, disposées à son égard de la maniere suivante.

La deuxieme note, re, à un ton d’intervalle vers la droite, c’est-a-dire, qu’il faut laisser une touche intermédiaire entre l’ut & le re, pour la division des deux demi-tons.

La troisieme, mi, à un autre ton du re & à deux tons mas de l’ut, de sorte qu’entre le re & le mi, il faut encore une touche intermédiaire.

La quartieme, fa, à un demi-ton du mi & à deux tons [298] & demi de l’ut: par conséquent, le fa est la touche qui suit le mi immédiatement, sans en laisser aucune entre-deux.

La cinquieme, sol, à un ton du fa, & à trois tons & de mi de l’ut; il faut laisser une touche intermédiaire.

La sixieme, la, à un ton du sol, & à quatre tons & de mi de l’ut; autre touche intermédiaire.

La septieme, si, à un ton du la, & à cinq tons & de mi de l’ut; autre touche intermédiaire.

La huitième, ut d’en-haut, à demi-ton du si, & à six tons du premier ut dont elle est l’octave, par conséquent le si est contigu à l’ut qui le suit, sans touche intermédiaire.

En continuant ainsi tout le long du clavier, on n’y trouvera que la replique des mêmes intervalles, & l’Ecolier se les rendra aisément familiers, de même que les chiffres qui les expriment & qui marquent leur distance de l’ut fondamental. On lui sera remarquer qu’il y à une touche intermédiaire entre chaque degré de l’octave, excepte entre le mi & le fa, & entre le si & l’ut d’en-haut, ou l’on trouve deux intervalles de demi-ton chacun, qui ont leur position fixe dans l’échelle.

On observera aussi qu’à la clef d’ut toutes les touches noires sont justement celles qu’il faut prendre, & que toutes les blanches sont les intermédiaires qu’il faut laisser. On ne cherchera point à lui faire trouver du mystère dans cette distribution, & l’on lui dira seulement que comme le clavier seroit trop-étendu ou les touches trop-petites, si elles etoient toutes uniformes, & que d’ailleurs la clef d’ut est la plus usitée dans la Musique, on à, pour plus de commodité, rejette hors des [299] intervalles les touches blanches, qui n’y sont que de peu d’usage. On se gardera bien aussi d’affecter un air savant en lui parlant des tons & des demi-tons majeurs & mineurs, des comma, du tempérament; tout cela est absolument inutile à la pratique, du moins pour ce tems-la, en un mot, pour peu qu’un Maître ait d’esprit & qu’il, possede son Art, il à tant d’occasions de briller en instruisant, qu’il est inexcusable quand sa vanité est à pure perte pour le Disciple.

Quand on trouvera que l’ecolier possede assez bien son clavier naturel, on commencera alors à le lui faire transposer sur d’autres clefs, en choisissant d’abord celles ou les sons naturels sont les moins altères. Prenons, par exemple, la clef de sol.

Ce mot sol, direz-vous à l’ecolier, écrit ainsi à la marge, signifie qu’il faut transporter au sol & à son octave le nom & toutes les propriétés de l’ut & de la gamme naturelle. Ensuite, après l’avoir exhorte à se rappeller la disposition des tons de cette gamme, vous l’inviterez à l’appliquer dans le même ordre au sol considère comme fondamentale, c’est-à-dire; comme un ut; d’abord, il sera question de trouver le re; si l’Ecolier est bien conduit, il le trouvera de lui-même, & touchera le la naturel, qui est précisément par rapport au sol dans la même situation que le re par rapport à l’ut; pour trouver le mi, il touchera le si; pour trouver le sa il touchera l’ut, & vous lui ferez remarquer qu’effectivement ces deux dernieres touches donnent un demi-ton d’intervalle intermédiaire, de même que le mi 4c le fa dans l’échelle naturelle. En poursuivant de même, il touchera le [300] re pour le sol,& le mi pour le la. Jusqu’ici il n’aura trouve que des touches naturelles pour exprimer dans l’octave sol l’échelle de l’octave ut; de sorte que si vous poursuivez, & que vous demandiez le si sans rien ajouter, il est presque immanquable qu’il touchera le fa naturel; alors vous l’arrêterez-là, & vous lui demanderez s’il ne se souvient pas qu’entre le la & le si naturel il à trouve un intervalle d’un ton une touche intermédiaire: vous lui montrerez en même tems cet intervalle à la clef d’ut, & revenant à celle de sol, vous lui placerez le doigt sur le mi naturel que vous nommerez la en demandant ou est le si; alors il se corrigera surement & touchera le fa dièse; petit-être touchera-t-il le sol: mais au lieu de vous impatienter, il faut saisir cette occasion de lui expliquer si bien la regle des tons & demi-tons, par rapport à l’octave ut & sans distinction de touches noires & blanches, qu’il ne soit plus dans le cas de pouvoir s’y tromper.

Alors il faut lui faire parcourir le clavier de haut en bas & de bas en haut, en lui faisant nommer les touches conformément à ce nouveau ton, vous lui serez aussi observer que la touche blanche qu’on y emploie, y devient nécessaire pour constituer le demi-ton, qui doit être entre le si & l’ut d’en haut, & qui seroit sans ce la, entre le la & le si, ce est contre l’ordre de la gamme. Vous aurez soin, sur-tout, de lui faire concevoir qu’à cette clef-là, le sol naturel est réellement un ut, le la un re, le si un mi, &c. De forte que ces noms & la position de leurs touches relatives lui deviennent aussi familières qu’à la clef d’ut, & que tant qu’il, est à la clef de soi, il n’envisage le clavier que par cette seconde exposition.

[301] Quand on le trouvera suffisamment exercé, on le mettra à la clef de re, avec les mêmes précautions, & on l’amenera aisément à y trouver de lui-même le mi & le si sur deux touches blanches: cette troisieme clef achèvera de l’éclaircir sur la situation de tous les tons de l’échelle, relativement à quelque fondamentale que ce soit, & vraisemblablement il n’aura plus besoin d’explication pour trouver l’ordre des tons sur toutes les autres fondamentales.

Il ne sera donc plus question que de l’habitude, & il dépendra beaucoup du Maître de contribuer à la former, s’il s’applique à faciliter à l’Ecolier la pratique de tous les intervalles, par des remarques sur la position des doigts, qui lui en rendent bientôt la mécanique familière.

Après cela; de courtes explications sur le mode mineur, sur les altérations qui lui sont propres, & sur celles qui naissent de la modulation dans le cours d’une même piece, un Ecolier bien conduit par cette méthode, doit savoir à fond son clavier sur les tons dans moins de trois mois; donnons-lui en six, au bout desquels nous partirons de-la pour le mettre à l’exécution, & je soutiens que s’il à d’ailleurs quelque connoissance des mouvemens, il jouera dès-lors à livre ouvert les airs notés par mes caracteres, ceux, du moins, qui ne demanderont pas une grande habitude dans le doigter. Qu’il mette six autres mots à se perfectionner la main & l’oreille, soit pour l’harmonie, soit pour la mesure; & voilà dans l’espace d’un an un Musicien du premier ordre, pratiquant également toutes les clefs, connoissant les modes & tous les tons, toutes les cordes qui leur sont propres, toute la suite [302] de la modulation, & transposant toute piece de Musique dans toutes sortes de tons avec la plus parfaite. facilite.

C’est ce qui me paroit découler évidemment de la pratique de mon système, & que je suis près de confirmer, non-seulement par des preuves de raisonnement, mais par l’expérience, aux yeux de quiconque en voudra voir l’effet.

Au reste ce que j’ai dit du Clavecin, s’applique de même à tout autre instrument, avec quelques légères différences par rapport aux instrumens à manche, qui naissent des différentes altérations propres à chaque ton: comme je n’écris ici que pour les Maîtres à qui cela est connu, je n’en dirai, que ce qui est absolument nécessaire, pour mettre dans son jour une objection qu’on pourroit m’opposer, & pour en donner la solution.

C’est un fait d’expérience que les différens tons de la Musique ont tous certain caractere qui leur est propre & les distingue chacun en particulier. L’A mi la majeur, par exemple, est brillant; l’F ut fa est majestueux; le si bémol majeur est tragique; le sa mineur est triste; l’us mineur est tendre; & tous les tons ont de même, par préférence, je ne fais quelle aptitude à exciter tel ou tel sentiment, dont les habiles Maîtres savent bien se prévaloir. Or. puisque la modulation est la même dans tous les tons majeurs, pourquoi un ton majeur exciteroit-il une passion plutôt qu’un autre ton majeur? Pourquoi le même passage du re au fa produit-il des effets différens, quand il est pris sur différentes fondamentales, puisque le rapport demeure le même. Pourquoi cet air joue en A mi la ne rend-il plus cette expression qu’il avoit [303] en G re sol? Il n’est pas possible d’attribuer cette différence au changement de fondamentale; puisque, comme je l’ai dit, chacune de ces fondamentales, prise séparément, n’à rien. en elle qui puisse exciter d’autre sentiment que celui du son haut ou bas qu’elle fait entendre: ce n’est point proprement par les sons que nous sommes touches: c’est par les rapports qu’ils ont entre eux, & c’est uniquement par le choix de ces rapports charmans, qu’une belle composition peut émouvoir le cœur en flattant l’oreille. Or, si le rapport d’un ut à un sol, ou d’un re à un la est le même dans tous les tons, pourquoi produit-il différens effets?

Peut-être trouveroit-on des Musiciens embarrasses d’en expliquer la raison; & elle seroit, en effet, très-inexplicable, si l’on admettoit à la rigueur cette identité de rapport dans les sons exprimes par les mêmes noms & représentes par les intervalles sur tous les tons.

Mais ces rapports ont entre eux de légères différences, suivant les cordes sur lesquelles ils sont pris, & ce sont ces différences, si petites en apparence, qui causent dans la Musique cette variété d’expressions sensible à toute oreille délicate, & sensible à tel point, qu’il est peu de Musicien, qui en écoutant un concert, ne connoisse en quel ton l’on exécute actuellement.

Comparons, par exemple, le C sol ut mineur, & le D la re. Voilà deux modes mineurs desquels tous les sons sont exprimes par les mêmes intervalles & par les mêmes noms, chacun relativement à sa tonique: cependant l’affection n’est point la même, & il est incontestable que le C sol ut est plus touchant que le D la re. Pour en trouver la raison, il faut [304] entrer dans une recherche assez longue dont voici à-peu-près le résultat. L’intervalle qui se trouve entre la tonique re & fa seconde note, est un peu plus petit que se trouve entre la tonique du C sol ut & sa seconde note; au contraire, le demi-ton qui se trouve entre la seconde note & la médiante du D la re, est un peu plus grand que celui qui est entre la seconde note & la médiante du C sol ut; de sorte que tierce mineure restant à-peu-près égale de part & d’autre, elle est partagée dans le C sol ut en deux intervalles un peu plus inégaux que dans le D la re, ce qui rend l’intervalle du demi-ton plus petit de la même quantité dont celui du ton est plus grand.

On trouve aussi, par l’accord, ordinaire du Clavecin, le demi-ton compris entre le sol naturel & le la bémol, un peu plus petit que celui qui est entre le la & le si bémol. Or plus les deux sons qui forment un demi-ton se rapprochent, & plus le passage est tendre & touchant, c’est l’expérience qui nous l’apprend, & c’est, je crois, la véritable raison pour laquelle le mode mineur du C sol ut nous attendrit plus que celui du D la re; que si, cependant, la diminution vient jusqu’à causer de l’altération à l’harmonie, & jetter de la dureté dans le Chant, alors le sentiment se change en tristesse, & c’est l’effet que nous éprouvons dans l’F ut sa mineur.

En continuant nos recherches dans ce goût-là, peut-être parviendrions-nous à-peu-près à trouver par ces différences légères qui subsistent dans les rapports des sons & des intervalles, les raisons des différens sentimens excites par le divers tons de la Musique. Mais si l’on vouloit aussi trouver la [305] causes de ces différences, il faudroit entrer pour cela dans détail dont mon sujet me dispense, & qu’on trouvera suffisamment expliqué dans les ouvrages de Monsieur Rameau. Je me contenterai de dire ici en général que, comme il à fallu pour éviter de multiplier les sons, faire servir les mêmes à plusieurs usages, on n’à pu y réussir qu’en les altérant un peu, ce qui fait qu’eu égard à leurs différens rapports, ils perdent quelque chose de la justesse qu’ils devroient avoir. Le mi, par exemple, considère comme tierce majeure d’ut, n’est point, à la rigueur, le même mi qui doit faire la quinte du la; la différence est petite, à la vérité, mais enfin elle existe, & pour la faire évanouir il a fallu tempérer un peu cette quinte: par ce moyen on n’à employé que le même son pour ces deux usages: mais de-là vient aussi que le ton du re au mi n’est pas de la même espece que celui de l’ut ou re, & ainsi des autres.

On pourroit donc me reprocher que j’anéantis ces différences par mes nouveaux signes, & que, par-la même, je détruis cette variété d’expression si avantageuse dans la Musique. J’ai bien des choses à répondre à tout cela.

En premier lieu; le tempérament est un vrai défaut; c’est une altération que l’art à causée à l’harmonie, faute d’avoir pu mieux faire. Les harmoniques d’une corde ne nous donnent point de quinte tempérée, & la mécanique du tempérament introduit dans la modulation des tons si durs, par exemple, le re & le sol dièses, qu’ils ne sont pas supportables à l’oreille. Ce ne seroit donc pas une faute que d’éviter ce défaut, & sur-tout dans les caracteres de la Musique, qui, ne participant [306] pas au vice de l’instrument, devroient, du moins par leur signification, conserver toute la pureté de l’harmonie.

De plus; les altérations causées par les différens tons, ne sont point pratiquées par les voix; l’on n’entonne point, par exemple, l’intervalle 45, autrement que l’on entonneroit celui-ci 56, quoique cet intervalle ne soit pas tout-a-fait même, & l’on module en chantant avec la même justesse dans tous les tons, malgré les altérations particulieres que l’imperfection des instrumens introduit dans ces différens tons, & à laquelle la voix ne se conforme jamais, à moins qu’elle n’y soit contrainte par l’unisson des instrumens.

La nature nous apprend à moduler sur tous les tons, précisément dans toute la justesse des intervalles; les voix conduites par elle le pratiquent exactement. Faut-il nous éloigner de ce qu’elle prescrit pour nous assujettir à une pratique défectueuse, & faut-il sacrifier, non pas à l’avantage, mais au vice des instrumens, l’expression naturelle du plus partait de tous. C’est ici qu’on doit se rappeller tout ce que j’ai dit ci-devant sur la génération des sons, & c’est par-la qu’on se convaincra que l’usage de mes signes n’est qu’une expression très-fidelle & très-exacte des opérations de la nature.

En second lieu; dans les plus considérables instrumens, comme l’Orgue, le Clavecin & la Viole, les touches étant fixées, les altérations différentes de chaque ton dépendent uniquement de l’accord, & elles sont également pratiquées par ceux qui en jouent, quoiqu’ils n’y pensent point. Il en est de même des Flûtes, des Hautbois, Bassons & autres instrumens à trous, les dispositions des doigts sont fixées pour [307] chaque son, & le seront de même par mes caracteres, sans les écoliers pratiquent moins le tempérament pour n’en pas connoître l’expression.

D’ailleurs, on ne sauroit me faire là-dessus aucune difficulté qui n’attaque en même tems la Musique ordinaire, dans laquelle, bien loin que les petites différences des intervalles de même espece soient indiquées par quelque marque, les différences spécifiques ne le sont même pas, puisque les tierces ou les sixtes, majeures & mineures, sont exprimées par les mêmes intervalles & les mêmes positions; au lieu que dans système les différens chiffres employés dans les intervalles de même dénomination, sont du moins connoître s’ils sont majeurs ou mineurs.

Enfin, pour trancher tout d’un coup toute cette difficulté, c’est au Maître & à l’oreille à conduire l’Ecolier dans la pratique des différens tons & des altérations qui leur sont propres: la Musique ordinaire ne donne point de regles pour cette pratique que je ne puisse appliquer à la mienne avec encore plus d’avantage, & les doigts de l’écolier seront bien plus heureusement conduits en lui faisant pratiquer sur son Violon les intervalles, avec les altérations qui leur sont propres dans chaque ton, en avançant ou reculant un peu le doigt, que par cette foule de dièses c de bémols qui, faisant de plus petits intervalles entr’eux, & ne contribuant point à former l’oreille, troublent l’Ecolier par des différences qui lui sont long-tems insensibles.

Si la perfection d’un système de Musique consistoit à y pouvoir exprimer une plus grande quantité de sons, il seroit [308] aise en adoptant celui de M. Sauveur, de diviser toute l’étendue d’une seule octave en 3010 décamérides ou intervalles égaux, dont les sons seroient représentes par des notes différemment figurées; mais de quoi serviroient tous ces caracteres, puisque la diversité des sons qu’ils exprimeroient ne seroit non plus à la portée de nos oreilles, qu’à celle des organes de notre voix? Il n’est donc pas moins inutile qu’on apprenne à distinguer l’ut double dièse, du re naturel, des que nous sommes contraints de le pratiquer sur ce même re, & qu’on ne se trouvera jamais dans le cas d’exprimer en note la différence qui doit s’y trouver, parce que ces deux sons ne peuvent être relatifs à la même modulation.

Tenons pour une maxime certaine que tous les sons d’un mode doivent toujours être considères, par le rapport qu’ils ont avec la fondamentale de ce mode-la, qu’ainsi les intervalles correspondans devroient être parfaitement égaux dans tous les tons de même espece; aussi les considère-t-on comme tels dans la composition, & s’ils ne le sont pas à la rigueur dans la pratique, les Facteurs épuisent du moins toute leur habileté dans l’accord, pour en rendre la différence insensible.

Mais ce n’est pas ici le lieu de m’étendre davantage sur cet article: si de l’aveu de la plus savante Académie de l’Europe mon système à des avantages marques par-dessus la méthode ordinaire pour la Musique vocale, il me semble que ces avantages sont bien plus considérables dans la partie instrumentale, du moins, j’exposerai les raisons que j’ai de le croire ainsi; c’est à l’expérience à confirmer leur solidité. Les Musiciens ne manqueront pas de se récrier, & de dire qu’ils [309] exécutent avec la plus grande facilite, par la méthode ordinaire, & qu’ils sont de leurs instrumens tout ce qu’on en peut faire par quelque méthode que ce soit. D’accord; je les admire en ce point, & il ne semble pas en effet qu’on puisse pousser l’exécution à un plus haut degré de perfection que celui ou elle est aujourd’hui: mais enfin quand on leur sera voir qu’avec moins de tems & de peine on peut parvenir plus surement à cette même perfection, peut-être seront-ils contraints de convenir que les prodiges qu’ils operent, ne sont pas tellement inséparables des barres, des noires & des croches, qu’on n’y, puisse arriver par d’autres chemins. Proprement, j’entreprends leur prouver qu’ils ont encore plus de mérite qu’ils ne pensoient, puisqu’ils suppléent par la force de leurs talens aux défauts de la méthode dont ils se servent.

Si l’on à bien compris la partie de mon système que je viens d’expliquer, on sentira qu’elle donne une méthode générale pour exprimer sans exception tous les sons usités dans Musique, non pas, à la vérité, d’une maniere absolue, mais relativement à un son fondamental déterminé; ce qui produit un avantage considérable en vous rendant toujours présent le ton de la piece & la suite de la modulation. Il me reste maintenant à donner une autre méthode encore us facile, pour pouvoir noter tous ces mêmes sons, de la même maniere, sur un rang horizontal, sans avoir jamais besoin de lignes ni d’intervalles pour exprimer les différentes octaves.

Pour y suppléer donc, je me sers du plus simple de tous les lignes, c’est-a-dire, du point; & voici comment je le [310] mets en usage si je sors de l’octave par laquelle j’ai commence pour faire une note dans l’étendue de l’octave supérieure, & qui commence à l’ut d’en-haut, alors je mets point au-dessus de cette note par laquelle je sors de mon octave, & ce point une fois place, c’est un avis que non-seulement la note sur laquelle il est, mais encore toutes celles qui la suivront, sans aucun signe qui le détruise, devront être prises dans l’étendue de cette octave supérieure ou je suis entre. Par exemple,

Ut c 1 3 5 1 3 5

Le point que vous voyez sur le second ut marque que vous entrez-là dans l’octave au-dessus de celle ou vous avez commence, & que par conséquent le 3 & le 5 qui suivent sont aussi de cette même octave supérieure & ne sont point les mêmes que vous aviez entonnes auparavant.

Au contraire; si je veux sortir de l’octave ou je me trouve pour passer à celle qui est au-dessous, alors je mets le point sous la note par laquelle j’y entre.

Ut d 5 3 1 5 3 1

Ainsi ce premier 5 étant le même que le dernier de l’exemple précédent, par le point que vous voyez ici sous le second 5, vous êtes averti que vous sortez de l’octave ou vous étiez monte, pour rentrer dans celle par ou vous aviez commence précédemment.

En un mot: quand le point est sur la note vous passez [311] dans l’octave supérieure, s’il est au-dessous vous passez dans l’inférieure, & quand vous changeriez d’octave à chaque note, que vous voudriez monter ou descendre de deux ou trois, octaves tout d’un coup ou successivement, la regle est toujours générale & vous n’avez qu’à mettre autant de points au-dessous ou au-dessus que vous avez d’octaves à descendre ou à monter.

Ce n’est pas à dire qu’à chaque point vous montiez ou vous descendiez d’une octave: mais à chaque point vous entrez dans une octave différente, dans un autre étage soit en montant, soit en descendant, par rapport au son fondamental ut, lequel ainsi se trouve bien de la même octave en descendant diatoniquement, mais non pas en montant: le point, dans cette façon de noter, équivaut aux lignes & aux intervalles de la précédente; tout ce qui est dans la même position appartient au même point, & vous n’avez besoin d’un autre point que lorsque vous passez dans une autre position, c’est-a-dire, dans une autre octave. Sur quoi il faut remarquer que je ne me sers de ce mot d’octave qu’abusivement & pour ne pas multiplier inutilement les termes, parce que proprement l’étendue que je désigne par ce mot n’est remplie que étage de sept notes, l’ut d’en-haut n’y étant pas compris.

Voici une suite de notes qu’il sera aise de solfier par les regles que je viens d’établir.

Sol d 1 7 1 2 3 1 5 4 5 6 7 5 1 7 6 5 4 3 2 4 2 1 7 6 5 3 4 5 5 1.

Et voici (V. PL. Ex. 12.) le même exemple note suivant la premiere méthode.

[312] Dans une longue suite de Chant, quoique les points vous conduisent toujours très-juste, ils ne vous sont pourtant connoître l’octave ou vous vous trouvez, que relativement à ce qui à précédé; c’est pourquoi, afin de savoir précisément l’endroit du clavier ou vous êtes, il faudroit aller en remontant jusqu’à la lettre qui est au commencement de l’air opération exacte, à la vérité, mais d’ailleurs un peu trop longue. Pour m’en dispenser, je mets au commencement de chaque ligne la lettre de l’octave ou se trouve, non pas la premiere note de cette ligne, mais la derniere de la ligne précédaient, & cela afin que la regle des points n’ait pas d’exception.

[EXEMPLE 1]

L’e que j’ai mis au commencement de la seconde ligne marque que le sa qui finit la premiere est de la cinquieme octave, de laquelle je sors pour rentrer dans la quatrieme d par le point que vous voyez au-dessous du si de cette seconde ligne.

Rien n’est plus aise que de trouver cette lettre correspondante à la derniere note d’une ligne, & en voici la méthode.

Comptez tous les points qui sont au-dessus des notes de cette ligne: comptez aussi ceux qui sont au-dessous, s’ils sont égaux en nombre avec les premiers, c’est une preuve que derniere note de la ligne est dans la même octave que la premiere, & c’est le cas du premier exemple de la page précédaient, [313] ou après avoir trouve trois points dessus & autant dessous, vous concluez qu’ils se détruisent les uns les autres, & que par conséquent la derniere note fa de la ligne est de la même octave d que la premiere note ut de la même ligne, ce qui est toujours vrai de quelque maniere que les points soient ranges, pourvu qu’il y en ait autant dessus que dessous.

S’ils ne sont pas égaux en nombre, prenez leur différence: comptez depuis la lettre qui est au commencement de la ligne & reculez d’autant de lettres vers l’à, si l’excès est au-dessous; ou s’il est au-dessus, avancez au contraire d’autant de lettres dans l’Alphabet, que cette différence contient d’unités, & vous aurez exactement la lettre correspondante à la derniere note.

[EXEMPLE 2]

Dans la premiere ligne de cet exemple, qui commence à l’étage c, vous avez deux points au-dessous & quatre au-dessus, par conséquent deux d’excès, pour lesquels il faut ajouter à la lettre c autant de lettres, suivant l’ordre de l’Alphabet, & vous aurez la lettre e correspondante à la derniere note de la même ligne.

Dans la seconde ligne vous avez au contraire un point d’excès au-dessous, c’est-a-dire qu’il faut depuis la lettre e, qui est au commencement de la ligne, reculer d’une lettre [314] vers l’à, & vous aurez d pour la lettre correspondante à la derniere note de la seconde ligne.

Il faut de même observer de mettre la lettre de l’octave après chaque premiere & derniere note des reprises & des rondeaux, afin qu’en partant de-la on sache toujours surement si l’on doit monter ou descendre, pour reprendre ou pour recommencer. Tout cela s’éclaircira mieux par l’exemple suivant dans lequel cette marque § est un signe de reprise.

[EXEMPLE 3]

La lettre b que vous voyez après la derniere note de la premiere partie, vous apprend qu’il faut monter d’une sixte pour revenir au mi du commencement, puisqu’il est de l’octave supérieure c, & la lettre c que vous voyez également après la premiere & la derniere note de la seconde partie, vous apprend qu’elles sont toutes deux de la même octave, & qu’il faut par conséquent monter d’une quinte, pour revenir de la finale à la reprise.

Ces observations sont fort simples & fort aisées à retenir. Il saut avouer cependant que la méthode des points à quelques avantages de moins que celle de la position d’étage en étage que j’ai enseignée la premiere, & qui n’à jamais besoin de toutes ces différences de lettres: l’une & l’autre ont pourtant leur commodité, & comme elles s’apprennent par les mêmes regles & qu’on peut les savoir toutes deux ensemble, avec la même facilite qu’on à pour en apprendre une séparément, on les pratiquera chacune dans les occasions ou elle [315] paroîtra plus convenable. Par exemple, rien ne sera si commode que la méthode des points pour ajouter l’air à des paroles déjà écrites, pour noter des petits airs, des morceaux détaches, & ceux qu’on veut envoyer en Province, & en général pour la Musique vocale. D’un autre côté la méthode de position servira pour les partitions & les grandes pieces de Musique, pour la Musique instrumentale, & sur-tout pour commencer les Ecoliers, parce que la mécanique en est encore plus sensible que de l’autre maniere, & qu’en partant de celle-ci déjà connue, l’autre se conçoit du premier instant. Les compositeurs s’en serviront aussi par préférence à cause de la distinction oculaire des différentes octaves. Ils sentiront en la pratiquant toute l’étendue de ses avantages, que j’ose dire tels pour l’évidence de l’harmonie, que, quand ma méthode n’auroit nul cours dans la pratique, il n’est point de Compositeur qui ne dût l’employer pour son usage particulier & pour l’instruction de ses élevés.

Voilà ce que j’avois à dire sur la premiere partie de mon systême qui regarde l’expression des sons; passons à la seconde qui traite de leurs durées.

L’article dont je viens de parler n’est pas, à beaucoup près aussi difficile que celui-ci, du moins dans la pratique qui n’admet qu’un certain nombre de sons, dont les rapports sont fixés, & à-peu-près les mêmes dans tous les tons, au lieu que les différences qu’on peut introduire dans leurs durées peuvent varier presque à l’infini.

Il y à beaucoup d’apparence que l’établissement de la quantité dans la Musique à d’abord été relatif à celle du langage, [316] c’est-a-dire, qu’on faisoit passer plus vite les sons par lesquels on exprimoit les syllabes brèves, & durer un peu plus long-tems ceux qu’on adaptoit aux longues. On poussa bientôt les choses plus loin, & l’on établit à l’imitation de la Poésie une certaine régularité dans la durée des sons, par laquelle on les assujettissoit à des retours uniformes qu’on s’avisa de mesurer par des mouvemens égaux de la main ou du pied, & d’ou, à cause de ce la, ils prirent le nom de mesures. L’analogie est visible à cet égard entre la Musique & la Poésie. Les vers sont relatifs aux mesures, les pieds aux tems, & les syllabes aux notes. Ce n’est pas assurément donner dans des absurdités, que de trouver des rapports aussi naturels, pourvu qu’on n’aille pas, comme le P. Souhaitti, appliquer à l’une les signes de l’autre, & à cause de ce qu’elles ont de semblable, confondre ce qu’elles ont de différent.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner en Physicien d’ou naît cette égalité merveilleuse que nous éprouvons dans nos mouvemens, quand nous battons la mesure; pas un tems qui passe l’autre; pas la moindre différence dans leur durée successive, sans que nous ayons d’autre regle que notre oreille pour la déterminer: il y à lieu de conjecturer qu’un effet aussi singulier part du même principe qui nous fait entonner naturellement toutes les consonnances. Quoi qu’il en soit, il est clair que nous avons un sentiment sur pour juger du rapport mouvemens, tout comme de celui des sons, & des organes toujours prêts à exprimer les uns & les autres, selon les mêmes rapports, & il me suffit, pour ce que j’ai à dire, de remarquer le fait sans en rechercher la cause.

[317] Les Musiciens sont de grandes distinctions dans ces mouvemens, non-seulement quant aux divers degrés de vitesse qu’ils peuvent avoir, mais aussi, quant au genre même de la mesure, & tout cela n’est qu’une suite du mauvais principe par lequel ils ont fixe les différentes durées des sons: car pour trouver le rapport des uns aux autres, il à fallu établir un terme de comparaison, & il leur à plu de choisir pour ce terme une certaine quantité de durée qu’ils ont déterminée par une figurer ronde; ils ont ensuite imagine des notes de plusieurs autres figures, dont la valeur est fixée, par rapport à cette ronde, en proportion sous-double. Cette division seroit assez supportable, quoi qu’il s’en faille de beaucoup qu’elle n’ait l’universalité nécessaire, si le terme de comparaison, c’est-a-dire, si la durée de la ronde etoit quelque chose d’un peu moins vague: mais la ronde va tantôt plus vite, tantôt plus lentement, suivant le mouvement de la mesure ou l’on l’emploie, & l’on ne doit se flatter de donner quelque chose de plus précis en disant qu’une ronde est toujours l’expression de la durée d’une mesure à quatre, puisqu’outre que la durée même de cette mesure n’à rien de déterminé, on voit communément en Italie, des mesures à quatre & à deux contenir deux de quelquefois quatre rondes.

C’est pourtant ce qu’on suppose dans les chiffres des mesures doubles; le chiffre inférieur marque le nombre de notes d’une certaine valeur contenues dans une mesure à quatre tems, & le chiffre supérieur marque combien il faut de ces mêmes notes pour remplir une mesure de l’air que l’on va noter: mais pourquoi ce rapport de tant de différentes mesures [318] à celle de quatre tems qui leur est si peu semblable, ou pourquoi ce rapport de tant de différentes notes à une ronde dont la durée est si peu déterminée?

On diroit que les inventeurs de la Musique ont pris à tache de faire tout le contraire de ce qu’il falloit: d’un cote, ils ont négligé la distinction du son fondamental, indique par la nature, & si nécessaire pour servir de terme commun au rapport de tous les autres; & de l’autre, ils ont voulu établi une durée absolue & fondamentale, sans pouvoir en déterminer la valeur.

Faut-il s’étonner si l’erreur du principe à tant cause de défauts dans les conséquences; défauts essentiels à la pratique & tous propres à retarder long-tems les progrès des écoliers.

Les Musiciens reconnoissent au moins quatorze mesures différentes, dont voici les signes. 2, 3, c,

3/2, 2/4, 3/4, 6/4, 9/4, 12/4, 3/8, 6/8, 9/8, 12/8, 3/16, 6/16, 3/2.

On si ces signes sont institues pour déterminer autant de mouvemens différens en espece, il y en à beaucoup trop, & s’ils le sont, outre ce la, pour exprimer les différens degré de vitesse de ces mouvemens, il n’y en à pas assez. D’ailleurs, pourquoi se tourmenter si sort pour établir des signes qui ne servent à rien, puisqu’indépendamment du genre de la mesure, on est presque toujours contraint d’ajouter un mot au commencement de l’air, qui déterminé l’espece & degré du mouvement.

Cependant, on ne sauroit contester que la diversité de ces mesures ne brouille les commençans, pendant un tems infini, [319] & qui tout cela ne naisse de la fantaisie qu’on à de les vouloir rapporter à la mesure à quatre tems, ou d’en vouloir rapporter les notes à la valeur de la ronde.

Donner aux mouvemens & aux notes des rapports entièrement étrangers à la mesure ou l’on les emploie, c’est proprement leur donner des valeurs absolues, en conservant l’embarras des relations; aussi voit-on suivre de-la des équivoques terribles qui sont autant de pièges à la précision de la Musique & au goût du Musicien. En effet, n’est-il pas évident qu’en déterminant la durée des rondes, blanches, noires, croches, &c. non par la qualité de la mesure ou elles se rencontrent, mais par celle de la note même, vous trouvez à tout moment la relation en opposition avec le sens propre. De-la vient, par exemple, qu’une blanche dans une certaine mesure, passera beaucoup plus vite qu’une noire dans une autre, laquelle noire ne vaut cependant que la moitie de cette blanche, & de-la vient encore que les Musiciens de Province, trompes par ces faux rapports, donnent souvent aux airs des mouvemens tout différens de ce qu’ils doivent être, en s’attachant scrupuleusement à cette fausse relation, tandis qu’il faudra quelquefois passer une mesure à trois tems simples plus vite qu’une autre à trois huit, ce qui dépend du caprice des Compositeurs, & dont les Opéra présentent des exemples à chaque instant.

Il y auroit sur ce point bien d’autres remarques à faire auxquelles je ne m’arrêterai pas. Quand on à imagine, par exemple, la division sous-double des notes, telle qu’elle est établie, apparemment qu’on n’à pas prévu tous les cas, ou [320] bien l’on n’à pu les embrasser tous dans une regle générale; ainsi, quand il est question de faire la division d’une note ou d’un tems en trois-parties égales, dans une mesure à deux, à trois, ou à quatre, il faut nécessairement que le Musicien le devine, ou bien qu’on l’en avertisse par un signe étranger qui fait exception à la regle.

C’est en examinant les progrès de la Musique que nous pourrons trouver le remede à ces défauts. Il y à deux cents ans que cet Art etoit encore extrêmement grossier. Les rondes & les blanches etoient presque les seules notes qui y fussent employées, & l’on ne regardoit une croche qu’avec frayeur. Une Musique aussi simple n’amenoit pas de grandes dans la pratique, & cela faisoit qu’on ne prenoit pas non plus grand soin pour lui donner de la précision dans signes; on négligeoit la séparation des mesures, & l’on se contentoit de les exprimer par la figure des notes. à mesure que l’Art se perfectionna & que les difficultés augmenterez, on s’apperçut de l’embarras qu’il y avoit, dans une grande diversité de notes, de faire la distinction des mesures, & l’on commença à les séparer par des lignes perpendiculaires; on se mit ensuite à lier les croches pour faciliter les tems, & l’on s’en trouva si bien, que, depuis lors, les caracteres de la Musique sont toujours restes à-peu-près dans le même état.

Une partie des inconvéniens subsiste pourtant encore, la distinction des tems n’est pas toujours trop bien observée dans la Musique instrumentale, & n’à point lieu du tout dans le vocal: il arrive de-la qu’au milieu d’une grande mesure, [321] l’Ecolier ne sait ou il en est, sur-tout lorsqu’il trouve une quantité de croches & de doubles croches détachées dont il faut qu’il fasse lui-même la distribution.

Une réflexion toute simple sur l’usage des lignes perpendiculaires pour la séparation des mesures, nous fournira un moyen assure d’anéantir ces inconvéniens. Toutes les notes qui sont renfermées entre deux de ces lignes dont je viens de parler, sont justement la valeur d’une mesure: qu’elles soient en grande ou petite quantité, cela n’intéresse en rien la durée de cette mesure qui est toujours la même; seulement se divise-t-elle en parties égales ou inégales, selon la valeur & le nombre des notes qu’elle renferme: mais enfin sans connoître précisément le nombre de ces notes ni la valeur de chacune d’elles, on fait certainement qu’elles forment toutes ensemble une durée égale à celle de la mesure ou elles se trouvant.

Séparons les tems par des virgules comme nous séparons les mesures par des lignes, & raisonnons sur chacun de ces tems de la même maniere que nous raisonnons sur chaque mesure: nous aurons un principe universel pour la durée & la quantité des notes, qui nous dispensera d’inventer de nouveaux signes pour la déterminer, & qui nous mettra à portée de diminuer de beaucoup le nombre des différentes mesures usitées dans la Musique, sans rien ôter à la variété des mouvemens.

Quand une note seule est renfermée entre les deux lignes d’une mesure, c’est un signe que cette note remplit tous les tems de cette mesure & doit durer autant qu’elle: dans ce [322] cas, la séparation des tems seroit inutile, on n’à qu’à soutenir le même son pendant toute la mesure. Quand la mesure est divisée en autant de notes égales qu’elle contient de tems, on pourroit encore se dispenser de les séparer, chaque note marque un tems, & chaque tems est rempli par une note; mais dans le cas que la mesure soit chargée de notes d’inégales valeurs, alors il faut nécessairement pratiquer la séparation des tems par des virgules, & nous la pratiquerons même dans le cas précédent, pour conserver dans nos signes la plus parfaite uniformité.

Chaque tems compris entre deux virgules, ou entre une virgule & une ligne perpendiculaire, renferme une note ou plusieurs. S’il ne contient qu’une note, on conçoit qu’elle remplit tout ce tems-là, rien n’est si simple: s’il en renferme plusieurs, la chose n’est pas plus difficile; divisez ce tems en autant de parties égales qu’il comprend de notes: appliques chacune de ces parties à chacune de ces notes, & passez les de sorte que tous les tems soient égaux.

[EXEMPLE 4]

[323]

[EXEMPLE 5]

On voit dans les exemples précédens que je conserve les cadences & les liaisons comme dans la Musique ordinaire, & que pour distinguer le chiffre qui marque la mesure d’avec ceux des notes, j’ai soin de le faire plus grand & de l’en séparer une double ligne perpendiculaire.

Avant que d’entrer dans un plus grand détail sur cette méthode, remarquons d’abord combien elle simplifie la pratique de la mesure en anéantissant tout d’un coup toutes les mesures doubles; car, comme la division des notes est prise uniquement dans la valeur des tems & de la mesure ou elles se trouvent, il est évident que ces notes n’ont plus besoin. d’être comparées à aucune valeur extérieure pour fixer la leur; ainsi la mesure étant uniquement déterminée par le nombre de ses tems, on la peut très-bien réduire à deux [324] especes; savoir, mesure à deux & mesure à trois. à l’égard de la mesure à quatre, tout le monde convient qu’elle n’est que l’assemblage de deux mesures à deux tems: elle est traite comme telle dans la composition, & l’on peut compter que ceux qui pretendroient lui trouver quelque propriété particuliere, s’en rapporteroient bien plus à leurs yeux qu’à leurs oreilles.

Que le nombre des tems d’une mesure naturelle, sensible & agréable à l’oreille, soit borne à trois, c’est un fait d’expérience que toutes les spéculations du monde ne détruisent pas, on auroit beau chercher de subtiles analogies entre le tems de la mesure & les harmoniques d’un son, on trouveroit aussi-tôt une sixieme consonnance dans l’harmonie, qu’un mouvement à cinq tems dans la mesure, & quelle qu’en puisse être la raison, il est incontestable que le plaisir de l’oreille, & même sa sensibilité à la mesure, ne s’étend pas plus loin.

Tenons-nous en donc à ces deux genres de mesures, à deux & à trois tems: chacun des tems de l’une & de l’autre peuvent de même être partages en deux ou en trois parties égales, & quelquefois en quatre, six, huit, &c. par des sub-divisions de celle-ci, mais jamais par d’autres nombres qui ne seroient pas multiples de deux ou de trois.

Or, qu’une mesure soit à deux ou à trois tems, & que division de chacun de ses tems soit en deux ou en trois parties égales, ma méthode est toujours générale, & exprime tout avec la même facilite. On l’à déjà pu voir par le dernier exemple précédent, & l’on le verra encore par celui-ci, dans [325] lequel chaque tems d’une mesure à deux, partagé en trois parties égales, exprime le mouvement de six huit dans la Musique ordinaire.

[EXEMPLE 6]

Les notes, dont deux égales rempliront un tems, s’appelleront des demis; celles dont il en faudra trois, des tiers; celles dont il en faudra quatre, des quarts, &c.

Mais lorsqu’un tems se trouve partage, de sorte que toutes les notes n’y sont pas d’égale valeur: pour représenter, par exemple, dans un seul tems une noire & deux croches, je considere ce tems comme divise en deux parties égales, dont la noire fait la premiere, & les deux croches ensemble, la seconde; je les lie donc par une ligne droite que je place au-dessus ou au-dessous d’elles, & cette ligne marque que tout ce qu’elle embrasse ne représente qu’une seule note, laquelle doit être subdivisée ensuite en deux parties égales, ou en trois, ou en quatre, suivant le nombre des chiffres qu’elle couvre.

[EXEMPLE 7]

[326] la virgule qui se trouve avant la premiere note dans les deux exemples précédens, désigne la fin du premier tems, & marque que le chant commence par le second.

Quand il se trouve dans un même tems des subdivisions d’inégalités, on peut alors se servir d’une seconde liaison; par exemple, pour exprimer un tems composé d’une noire, d’une croche & de deux doubles-croches, on s’y prendroit ainsi,

[EXEMPLE 8]

Vous voyez-là que le second tems de la premiere mesure contient deux parties égales, équivalentes deux noires, savoir, le 5 pour l’une, & pour l’autre la somme des trois notes 121 qui sont sous la grande liaison; ces trois notes sont subdivises en deux autres parties égales, équivalentes à deux croches dont l’une est le premier 1, & l’autre les deux notes 2 & 1 jointes par la seconde liaison, lesquelles sont ainsi chacune le quart de la valeur comprise sous la grande liaison & le huitième du tems entier.

En général; pour exprimer régulièrement la valeur des notes, il faut s’attacher à la division de chaque tems par parties égales, ce qu’on peut toujours faire par la méthode je viens d’enseigner, en y ajoutant l’usage du point dont je parlerai tout l’heure, sans qu’il soit possible d’être arrête [327] aucune exception. Il ne sera même jamais nécessaire, quelque bizarre que puisse être une Musique, de mettre plus de deux liaisons sur aucune de ses notes, ni d’en accompagner de plus de deux points, à moins qu’on ne voulut imaginer dans grandes inégalités de valeurs es quintuples & des sextuples croches, dont la rapidité comparée n’est nullement à la porte des voix ni des instrumens, & dont à peine trouverroit-on d’exemple dans la plus grande débauche de cerveau nos Compositeurs.

A l’égard des tenues & des syncopes, je puis comme dans la Musique ordinaire les exprimer avec des notes lies ensemble, par une ligne courbe que nous appellerons liaison de tenue au chapeau, pour la distinguer de la liaison de valeur dont je viens de parler & qui se marque par une ligne droite. Je puis aussi employer le point au même usage en lui donnant un sens plus universel & bien plus commode que dans la Musique ordinaire. Car au lieu de lui valoir toujours la moitié de la note qui le précede, ce qui ne fait qu’un cas particulier, je lui donne de même qu’aux notes une valeur déterminée uniquement par la place qu’il occupe, c’est-a-dire, que si le point remplit seul un tems ou une mesure, le son qui à précédé doit être aussi soutenu pendant tout ce tems ou toute cette mesure, & si le point se trouve dans un tems avec d’autres notes, il fait nombre aussi bien qu’elles & doit être compte pour un tiers ou pour un quart, suivant la quantité de notes que renferme ce tems-là en y comprenant le point: en un mot, le point vaut autant, ou plus, ou moins, que la note qui l’à précédé, & dont il marque la tenue suivant [328] la place qu’il occupe dans je tems ou il est employé.

[EXEMPLE 9]

Au reste, il n’est pas craindre, comme on le voit par cet exemple, que ces points se confondent jamais avec ceux qui servent changer d’octaves, ils en sont trop bien distingues par leur position pour avoir besoin de l’être par leur figure. C’est pourquoi j’ai négligé de le faire, évitant avec soin de me servir de signes extraordinaires qui distrairoient l’attention sans exprimer rien de plus que la simplicité des miens.

A l’égard du degré de mouvement, s’il n’est pas déterminé par les caracteres de ma méthode, il est aise d’y suppléer par un mot mis au commencement de l’air, & l’on peut d’autant moins tirer de-la un argument contre mon système, que la Musique ordinaire à besoin du même secours; vous avez, par exemple, dans la mesure à trois tems simples, cinq ou six mouvemens très-differens les uns des autres, & tous exprimes par une noire à chaque tems; ce n’est donc pas la qualité des notes qu’on emploie qui sert déterminer le mouvement, & s’il se trouve des maîtres négligens qui s’en fient sur ce sujet au caractere de leur Musique & au goût de ceux qui la liront, leur constance se trouve si souvent punie par les mauvais mouvemens qu’on donne leurs airs, qu’ils doivent [329] assez sentir combien il est nécessaire d’avoir cet égard des indications plus précises que la qualité des notes.

L’imperfection grossiere de la Musique sur l’article dont nous parlons, seroit sensible pour quiconque auroit des yeux: mais les Musiciens ne la voient point, & j’ose prédire hardiment qu’ils ne verront jamais rien de tout ce qui pourroit tendre à corriger les défauts de leur Art. Elle n’avoit pas échappe à M. Sauveur, & il n’est pas nécessaire de méditer sur la Musique autant qu’il l’avoit fait, pour sentir combien il seroit important de ne pas laisser aux mouvemens des différentes mesures une expression si vague, & de n’en pas abandonner la détermination des goûts souvent si mauvais.

Le système singulier qu’il avoit propose; & en général tout ce qu’il à donne sur l’Acoustique, quoiqu’assez, chimérique selon ses vues, ne laissoit pas de renfermer d’excellentes choses qu’on auroit bien su mettre à profit dans tout autre Art. Rien n’auroit été plus avantageux, par exemple, que l’usage de son Echométre général, pour déterminer précisément la durée des mesures & des tems, & ce la, par la pratique du monde la plus aisée, il n’auroit été question que de fixer sur une mesure connue, la longueur du pendule simple, qui auroit fait un tel nombre juste de vibrations pendant un tems, ou une mesure d’un mouvement de telle espece. Un seul chiffre mis au commencement d’un air auroit exprime tout ce la, & par son moyen on auroit pu déterminer le mouvement avec autant de précision que l’Auteur même. Le pendule n’auroit été nécessaire que pour prendre une fois l’idée de chaque mouvement: après quoi, cette idée tant réveille dans d’autres airs par [330] les mêmes chiffres qui l’auroient fait naître, & par les airs mêmes qu’on y auroit déjà chantes, une habitude assurer, acquise par une pratique aussi exacte, auroit bientôt tenu lieu de regle, & rendu le pendule inutile.

Mais ces avantages mêmes qui devenoient de vrais inconvéniens par la facilite qu’ils auroient donne aux commençans de se passer de Maîtres & de se former le goût par eux-mêmes, ont peut-être été cause que le projet n’à point été admis dans la pratique; il semble que si l’on proposoit de rendre l’Art plus difficile, il y auroit des raisons pour être plutôt écoute.

Quoi qu’il en soit, en attendant que l’approbation du Public me mette en droit de m’étendre davantage sur les moyen qu’il y au oit prendre pour faciliter l’intelligence des mouvemens, de même que celle de bien d’autres parties de la Musique, sur lesquelles j’ai des remarques proposer, je puis me borner ici aux expressions de la méthode ordinaire; qui par des mots mis au commencement de chaque air en indiquent assez bien le mouvement. Ces mots, bien choisis, doivent je crois, dédommager & au de-la de ces doubles chiffres & de toutes ces différentes mesures qui, malgré leur nombre, laissent le mouvement indéterminé & n’apprennent rien, aux écoliers; ainsi, en adoptant seulement le 2 & le 3 pour les signes de la mesure, j’ôte la confusion des caracteres sans altérer la variété de l’expression.

Revenons à notre projet. On sait combien de figures étranges sont employées dans la Musique pour exprimer les silences; il y en à autant que d différentes valeurs, & par conséquent, [331] autant que de figures différentes dans les notes relatives: on est même contraint de les employer à proportion en plus grande quantité, parce qu’il n’à pas plu à leurs inventeurs d’admettre le point après les silences de la même maniere & au même usage qu’après les notes, & qu’ils ont mieux aime multiplier des soupirs, des demi-soupirs, des quarts-de-soupir à la file les uns des autres, que d’établir entre des signes relatifs une analogie si naturelle.

Mais comme dans ma méthode il n’est point nécessaire de donner des figures particulieres aux notes pour en déterminer la valeur, on y est aussi dispense de la même précaution pour les silences, & un seul signe suffit pour les exprimer tous sans confusion & sans équivoque. Il paroit assez indifférent dans cette unité de figure de choisir tel caractere qu’on voudra pour l’employer cet usage. Le zéro à cependant quelque chose de si convenable à cet effet, tant par l’idée de privation qu’il porte communément avec lui, que par sa qualité de chiffre, & sur-tout par la simplicité de sa figure, que j’ai cru devoir le préférer. Je l’employerai donc de la même maniere & dans le même sens par rapport à la valeur, que les notes ordinaires, c’est-a-dire, que les chiffres 1, 2, 3, &c. & les regles que j’ai établies l’égard des notes étant toutes applicables à leurs silences relatifs, il s’ensuit que le zéro par sa seule position & par les points qui le peuvent suivre, lesquels alors exprimeront des silences, suffit seul pour remplacer toutes les pauses, soupirs, demi-soupirs, & autres signes bizarres & superflus qui remplissent la Musique ordinaire.

[332]

[EXEMPLE 10]

Les chiffres 4 & 2 places ici sur des zéro marquent le nombre de mesures que l’on doit passer en silence.

Tels sont les principes généraux d’ou découlent les regles pour toutes sortes d’expressions imaginables, sans qu’il puisse naître cet égard aucune difficulté qui n’ait été prévue, & qui ne soit résolue en conséquence de quelqu’un de ces principes.

Je finirai par quelques observations qui naissent du parallele des deux systèmes.

Les notes de la Musique ordinaire sont-elles plus ou moins avantageuses que les chiffres qu’on leur substitue? C’est proprement le fond de la question.

Il est clair, d’abord, que les notes varient plus par leur seule position, que mes chiffres par leur figure & par leur position tout ensemble; qu’outre ce la, il y en à de sept figures différentes, autant que j’admets de chiffres pour les exprimer; que les notes n’ont de signification & de force que par le secours de la clef: & que les variations des clefs donnent un grand nombre de sens tout différens aux notes posées de la même maniere.

Il n’est pas moins évident que les rapports des notes & les intervalles de l’une à l’autre n’ont rien dans leur expression par la Musique ordinaire qui en indique le genre, & [333] qu’ils sont exprimes par des positions difficiles à retenir & dont la connoissance dépend uniquement de l’habitude & d’une très-longue habitude: car quelle prise peut avoir l’esprit pour saisir juste & du premier coup-d’oeil un intervalle de sixte, de neuvieme, de dixième dans la Musique ordinaire, moins que la coutume n’ait familiarise les yeux à lire tout l’un coup ces intervalles?

N’est-ce pas un défaut terrible dans la Musique de ne pouvoir rien conserver, dans l’expression des octaves, de l’analogie qu’elles ont entre elles? Les octaves ne sont que les répliques des mêmes sons; cependant ces répliques se présentent sous des expressions absolument différentes de celles de leur premier terme. Tout est brouille dans la position à la distance d’une seule octave la replique d’une note qui etoit sur une ligne se trouve dans un espace, celle qui etoit dans le espace à sa replique sur une ligne; montez-vous ou descendez-vous de deux octaves? Autre différence toute contraire à la premiere: alors les répliques sont places sur des lignes ou dans des espaces comme leurs premiers termes: ainsi la difficulté augmente en changeant d’objets, & l’on n’est jamais assure de connoître au juste l’espece d’un intervalle traverse par un si grand nombre de lignes; de sorte qu’il faut se faire d’octave en octave des regles particulieres qui ne finissent point, & qui sont de l’étude des intervalles; le terme effrayant & très-rarement atteint de la science du Musicien.

De-la cet autre défaut presque aussi nuisible, de ne pouvoir distinguer l’intervalle simple dans l’intervalle redouble; vous voyez une note posée entre la premiere & la seconde ligne, [334]& une autre note posée sur la septieme ligne, pour connoître leur intervalle vous décomptez de l’une l’autre, & après une longue & ennuyeuse opération., vous trouvez une douzième; or, comme on voit aisément qu’elle passe l’octave, il faut recommencer une seconde recherche pour s’assurer enfin que c’est une quinte redouble, encore pour déterminer l’espece de cette quinte faut-il bien faire attention aux signes de la clef, qui peuvent la rendre juste ou fausse suivant leur nombre & leur position.

Je sais que les Musiciens se sont communément se sont communément des regles plus abrégées pour se faciliter l’habitude & la connoissance des intervalles: mais ces regles mêmes prouvent le défaut des signes, en ce qu’il faut toujours compter les lignes des yeux & en ce qu’on est contraint de fixer son imagination d’octave en octave pour sauter de-la l’intervalle suivant, ce qui s’appelle suppléer de génie au vice de l’expression.

D’ailleurs, quand force de pratique on viendroit à bout de lire aisément tous les genres d’intervalles, de quoi vous servira cette connoissance, tant que vous n’aurez point de régler assurée pour en distinguer l’espece? Les tierces & les sixtes majores & mineure, les quintes & les quartes diminuées & superflues, & en général tous les intervalles de même nom, justes ou altères, sont exprimes par la même position indépendamment de leur qualité, ce qui fait que suivant les différentes situations des deux demi-tons de l’octave, qui changent de place chaque ton & chaque clef, les intervalles changent aussi de qualité sans changer de nom ni position, de-la l’incertitude sur l’intonation & l’inutilité de l’habitude dans les cas ou elle seroit la plus nécessaire.

[335] La méthode qu’on à adopte pour les instrumens, est visiblement une dépendance de ces défauts, & le rapport direct qu’il à fallu établir entre les touches de l’instrument & la position des notes, n’est qu’un méchant pis-aller pour suppléer à la science des intervalles & des relations toniques sans laquelle on ne sauroit jamais être qu’un mauvais Musicien.

Quelle doit être la grande attention du Musicien dans l’exécution? C’est sans doute d’entrer dans l’esprit du Compositeur, & de s’approprier ses idées pour les rendre avec toute la fidélité qu’exige le goût de la Piece. Or, l’idée du Compositeur dans le choix des sons, est toujours relative à le tonique, &, par exemple, il n’employera point le fa dièse comme une telle touche du clavier, mais comme faisant un tel accord, ou un tel intervalle avec sa fondamentale. Je dis donc que si le Musicien considere les sons par les mêmes rapports, il sera ses mêmes intervalles plus exacts, & exécutera avec plus de justesse qu’en rendant seulement les sons les uns après les autres les autres, sans liaison & sans dépendance que celle de la position des notes qui devant ses yeux, & de ces foules de dièses & de bémols qu’il ait incessamment présens à l’esprit; bien entendu qu’il observera toujours les modifications particulieres à chaque ton, qui sont, comme je l’ai déjà dit, l’effet du tempérament, & dont la connoissance pratique, indépendante de tout système, ne peut s’acquérir que par l’oreille & par l’habitude.

Quand on prend un fois un mauvais principe, on s’enfile d’inconvéniens en inconvéniens, & souvent on voit évanouit [336] les avantages mêmes qu’on s’etoit propos. C’est ce qui arrive dans la pratique de la Musique instrumentale; les difficultés s’y présentent en foule. la quantité de positions différentes, de dièses, de bémols, de changemens de clefs, y sont des obstacles éternels au progrès des Musiciens; & après tout cela, il faut encore perdre, la moitie du tems, cet avantage si vante du rapport direct de la touche à la note, puisqu’il arrive cent fois par la force des signes d’altération simples ou redoubles, que les mêmes notes deviennent relatives à des touches toutes différentes de ce qu’elles représentent, comme on l’à pu remarquer ci-devant.

Voulez-vous pour la commodité des voix, transposer la piece un demi-ton, ou un ton plus haut ou plus bas: voulez-vous présenter à ce Symphoniste de la Musique notée sur une clef étrangère son instrument? le voilà embarrasse, & souvent arrête tout court, si la Musique est un peu travaillée. Je crois, la vérité, que les grands Musiciens ne seront pas dans le cas; mais je crois aussi que les grands Musiciens ne le sont pas devenus sans peine, & c’est cette peine qu’il s’agit d’abréger. Parce qu’il ne sera pas tout-a-fait impossible d’arriver la perfection par la route ordinaire, s’ensuit-il qu’il n’en soit point de plus facile?

Supposons que je veuille transposer & exécuter en B fa si, une piece note en C sol ut à la clef de sol, sur la premiere ligne: voici tout ce que j’ai faire; je quitte l’idée de la clef de sol, & je lui substitue celle de la clef d’ut, sur la troisieme ligne: ensuite j’y ajoute les idées des cinq dièses poses, le premier sur le s\ fa, le second sur l’ut, le troisieme sur le sol, [337] le quatrieme sur le re, & le cinquieme sur le la; à tout cela joins enfin l’idée d’une octave au-dessus de cette clef d’ut, & il faut que je retienne continuellement toute cette complication d’idées pour l’appliquer chaque note, sans quoi me voilà tout à tout instant hors de ton. Qu’on juge de la facilite de tout cela!

Les chiffres employés de la maniere que je le propose, produisent des effets absolument différens. Leur force est en eux-mêmes, & indépendante de tout autre signe. Leurs rapports sont connus par la seule inspection, & sans que l’habitude ait y entrer pour rien; l’intervalle simple est toujours évident dans l’intervalle redouble: une leçon d’un quart-d’heure doit mettre toute personne en état de solfier, ou du moins de nommer les notes dans quelque Musique qu’on lui présente; un autre quart-d’heure suffit pour lui apprendre à nommer de même & sans hésiter, tout intervalle possible, ce qui dépend, comme je l’ai déjà dit, de la connoissance distincte de trois intervalles, de leurs renversemens, & réciproquement du renversement de ceux-ci, qui revient aux premiers. Or, il me semble que l’habitude doit se former bien plus aisément quand l’esprit en à fait la moitie de l’ouvrage, qu’il n’à lui-même plus rien à faire.

Non-seulement les intervalles sont connus par leur genre dans mon système, mais ils le sont encore par leur espece. Les tierces & les sixtes sont majeures ou mineures, vous en faites la distinction sans pouvoir vous y tromper; rien n’est si aise que de savoir une fois que l’intervalle 24 est une tierce mineure; l’intervalle 24, une sixte majeure; l’intervalle 31, [338] une sixte mineure, l’intervalle 31, une tierce majeure, &c. les quartes & les tierces, les secondes, les quintes & les septièmes, justes, diminues ou superflues, ne coûtent pas plus à connoître; les signes accidentels embarrassent encore moins & l’intervalle naturel étant connu, il est si facile déterminer ce même intervalle, altere par un dièse ou par un bémol, par l’un & l’autre tout-a-la-fois, ou par deux d’une même espece, que ce seroit prolonger le discours inutilement que d’entrer dans ce détail.

Appliquez ma méthode aux instrumens, les avantages en seront frappans. Il n’est question que d’apprendre à former le sept sons de la gamme naturelle, & leurs différentes octaves sur un ut fondamental, pris successivement sur les douze cordes* [*Je dis, les douze cordes, pour n’omettre aucune des difficultés possibles, puisqu’on pourroit se contenter des sept cordes naturelles, & qu’il est rare qu’on établisse la fondamentale d’un ton sur un des cinq sons altères, excepte, peut-être, le si bémol. Il est vrai qu’on y parvient assez fréquemment par la suite de la modulation: mais alors, quoiqu’on ait change de ton, la même fondamentale subsiste toujours, & le changement est amené par des altérations particulieres.] de l’échelle; ou plutôt, il n’est question que de savoir sur un son donne, trouver une quinte, une quarte, un tierce majeure, &c. & les octaves de tout cela, c’est-a-dire, de posséder les connoissances qui doivent être le moins ignorées des Musiciens, dans quelque système que ce soit. Après ces préliminaires si faciles à acquérir, & si propres à former l’oreille, quelques mois donnes à l’habitude de la mesure, mettent tout d’un coup l’Ecolier en état d’exécuter à livre ouvert: mais d’une exécution incomparablement plus intelligente [339] genre & plus sure que celle de nos Symphonistes ordinaires. Toutes les clefs lui seront également familières; tous les tons auront pour lui la même facilite, & s’il s’y trouve quelque différence, elle ne dépendra jamais que de la difficulté particuliere de l’instrument, & non d’une confusion de dièses, de bémols & de positions différentes, si fâcheuses pour les commençans.

Ajoutez à cela une connoissance parfaite des tons & de toute la modulation, suite nécessaire des principes de ma méthode; & sur-tout l’universalité des signes, qui rend avec les mêmes notes les mêmes airs dans tous les tons par le changement d’un seul caractere; d’ou résulte une facilite de transposer un air en tout autre ton, égale celle à de l’exécuter dans celui ou il est note; voilà ce que saura en très-peu de tems un Symphoniste forme par ma méthode. Toute jeune personne avec les talens & les dispositions ordinaires, & qui ne connoîtroit pas une note de Musique, doit, conduite par ma méthode, être en état d’accompagner du Clavecin, à livre ouvert, toute Musique qui ne passera pas en difficulté celle de nos Opéra, au bout de huit mois, & au bout de dix de celle de nos Cantates.

Or, si dans un si court espace on peut enseigner à la fois assez de Musique & d’accompagnement pour exécuter à livre ouvert, plus forte raison un Maître de Flûte ou de Violon, qui n’aura que la note à joindre à la pratique de l’instrument, pourra-t-il former un Eleve dans le même tems par les mêmes principes.

Je ne dis rien du Chant en particulier, parce qu’il ne me [340] paroit pas possible de disputer la supériorité de mon système à cet égard, & que j’ai sur ce point des exemples à donner plus forts & plus convaincans que tous les raisonnemens.

Après tous les avantages dont je viens de parler, il est permis de compter pour quelque chose le peu de volume qu’occupent mes caracteres, compare à la diffusion de l’autre Musique, & la facilite de noter sans tout cet embarras de papier raye, ou les cinq lignes de la portée ne suffisant presque jamais, il en faut ajouter d’autres à tout moment, qui se rencontrent quelquefois avec les portées voisines ou se mêlent avec les paroles, & causent une confusion à laquelle Musique ne sera jamais exposée. Sans vouloir en établir le prix sur cet avantage, il ne laisse pas cependant d’avoir une influence à mériter de l’attention; combien sera-t-il commode d’entretenir des correspondances de Musique, sans augmenter le volume des lettres? Quel embarras n’évitera-t-on point dans les Symphonies & dans les Partitions de tourner la feuille à tout moment? Et quelle ressource d’amusement n’aura-t-on pas de pouvoir porter sur soi des livres & des recueils de Musique, comme on en porte de Belles-lettres sans se; surcharger par un poids ou par un volume embarrassant, & d’avoir, par exemple, à l’Opéra un extrait de la Musique joint aux paroles, presque sans augmenter le prix la grosseur du livre? Ces considérations ne sont pas, je l’avoue, d’une grande importance, aussi ne les donne-je que comme des accessoires; ce n’est, au reste, qu’un tissu de semblables bagatelles qui fait les agrémens d la vie humaine, & rien [341] ne seroit si misérable qu’elle, si l’on n’avoit jamais fait d’attention aux petits objets.

Je finirai mes remarques sur cet article, en concluant qu’ayant retranche tout-d’un-coup par mes caracteres les soixante & dix combinaisons que la différente position des clefs & des accidens produit dans la Musique ordinaire; ayant établi un signe invariable & constant pour chaque son de l’octave dans tous les tons; ayant établi de même une position très-simple pour les différentes octaves; ayant fixé toute l’expression des sons par les intervalles propres au ton ou l’on est; ayant conservé aux yeux la facilité de découvrir du premier regard si les sons montent ou descendent; ayant fixé le degré de ce progrès avec une évidence que n’à point la Musique ordinaire; & enfin ayant abrégé de plus des trois quarts, & le tems qu’il faut pour apprendre solfier, & le volume des notes, il reste démontré que mes caracteres sont préférables à ceux de la Musique ordinaire.

Une seconde question qui n’est gueres moins intéressante que la premiere, est de savoir si la division des tems, que je substitue à celle des notes qui les remplissent, est un principe général plus simple & plus avantageux que toutes ces différences de noms & de figures qu’on est contraint d’appliquer aux notes, conformément à la durée qu’on leur veut donner.

Un moyen sûr pour décider ce le seroit d’examiner à priori si la valeur des notes est faite pour régler la longueur des tems, ou si ce n’est point, au contraire, par les tems mêmes de la mesure que la durée des notes doit être fixée. Dans le premier cas, la méthode ordinaire seroit incontestablement [342] la meilleure, moins qu’on ne regardât le retranchement de tant de figures comme une compensation suffisant d’une erreur de principe, d’ou résulteroient de meilleurs effets. Mais dans le second cas, si je rétablis également la cause & l’effet pris jusqu’ici l’un pour l’autre, & que par-la, je simplifie les regles & j’abrège la pratique, j’ai lieu d’espérer que cette partie de mon système, dans laquelle, au reste, on ne m’accusera d’avoir copie personne, ne paroîtra pas moins avantageuse que la précédente.

Je renvoie à l’Ouvrage dont j’ai déjà parle, bien des détails que je n’ai pu placer dans celui-ci. On y trouvera, outre la nouvelle méthode d’accompagnement dont j’ai parle dans la Préface, un moyen de reconnoître au premier coup-d’oeil les longues tirades de notes en montant ou en descendant, afin de n’avoir besoin de faire attention qu’à la premiere & à la derniere; l’expression de certaines mesures syncopées qui se trouvent quelquefois dans les mouvemens vifs à trois tems; une table de tous les mots propres à exprimer les différens degrés du mouvement; le moyen de trouver d’abord la plus haute & la plus basse note d’un air & de prélude en conséquence; enfin, d’autres regles particulieres qui toutes ne sont toujours que des développemens des principes que j’ai proposes ici; & sur-tout, un système de conduite pour les maîtres qui enseigneront à chanter, & à jouer des instrumens, bien différent dans la méthode & j’espere dans le progrès de celui dont en se sert aujourd’hui.

Si donc aux avantages généraux de mon système, si à tous ces retranchemens de signes & de combinaisons, si au développement [343] précis de la théorie, ou ajoute les utilités que ma méthode présente pour la pratique; ces embarras de lignes de portées tous supprimes, la Musique rendue si courte à apprendre, si facile à noter, occupant si peu de volume, exigeant moins de frais pour l’impression, & par conséquent, coûtant moins à acquérir; une correspondance plus parfaite établie entre les différentes parties, sans que les sauts d’une clef à l’autre soient plus difficiles que les mêmes intervalles pris sur la même clef; les accords & le progrès de l’harmonie offerts avec une évidence à laquelle les yeux ne peuvent se refuser; le ton nettement déterminé; toute la suite de la modulation exprimée, & le chemin que l’on à suivi, & le point ou l’on est arrive, & la distance ou l’on est du ton principal; mais sur-tout l’extrême simplicité des principes, jointe à la facilite des regles qui en découlent; peut-être trouvera-t-on dans tout cela de quoi justifier la confiance avec laquelle j’ose présenter ce projet au Public.

FIN.

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