JEAN JACQUES ROUSSEAU

LETTRES ÉLÉMENTAIRES
SUR LA BOTANIQUE,

A MADAME DE L****. [De Lessert]

[1771, 22 août -1773, 11 avril; Bibliothéque publique de la Ville de Neuchâtel, ms. R. 80, ancien 7884. le Pléiade édition, t. IV, pp. 1149-1195.=Du Peyrou/Moultou 1780-89 quarto édition, t. VII, pp. 531-588. Melanges II. "Pour leur édition, Du Peyrou et Moultou ont utilisé à la fois les brouillons et les lettres originales. Selon le voeu de Mme Delessert, ils ont supprimé un certain nombre d’alinéas, de caractère personnel...." le Pléiade édition t. IV, p. 1886.]

[531]

LETTRES ÉLÉMENTAIRES
SUR LA BOTANIQUE,

A MADAME DE L***.*

[*Madame de L***. qui a bien voulu nous fournir les originaux de ces Lettres, vouloit qu’on en ôtât tout ce qui la regarde personnellement; mais nous n’avons pas cru devoir supprimer des éloges très-mérités qui auroient honore M. Rousseau lui-même, si cette Dame nous avoit permis de la nommer]

LETTRE PREMIERE

Du 22 Août 1771.

Votre idée d’amuser un peu la vivacité de votre fille & de l’exercer à l’attention sur des objets agréables & varies comme les plantes, me paroit excellente, mais je n’aurois ose vous la proposer, de peur de faire le Monsieur Josse, Puisqu’elle vient de vous, je l’approuve de tout mon cœur, & j’y concourrai de même, persuade qu’à tout âge l’étude de la nature émousse le goût des amusemens frivoles, prévient le tumulte des passions, & porte à l’ame une nourriture qui lui profite en la remplissant du plus digne objet de ses contemplations.

Vous avez commence par apprendre à la Petite les noms d’autant de plantes que vous en aviez de communes sous les yeux: [532] c’etoit précieusement ce qu’il faloit faire. Ce petit nombre de plantes qu’elle connoît de vue sont les pieces de comparaison pour étendre ses connoissances: mais elles ne suffisent pas. Vous me demandez un petit catalogue des plantes les plus connues avec des marques pour les reconnoître. Je trouve à cela quelque embarras. C’est de vous donner par écrit ces marques ou caracteres d’une maniere claire & cependant peu diffuse. Cela me paroit impossible sans employer la langue de la chose, & les termes de cette langue forment un vocabulaire à part que vous ne sauriez entendre, s’il ne vous est préalablement explique.

D’ailleurs ne connoître simplement les plantes que de vue & ne savoir que leurs noms, ne peut être qu’une étude trop insipide pour des esprits comme les vôtres, & il est à présumer que votre fille ne s’en amuseroit pas long-tems. Je vous propose de prendre quelques notions préliminaires de la structure végétale ou de l’organisation des plantes, afin, dussiez-vous ne faire que quelques pas dans le plus beau, dans le plus riche des trois règnes de la nature, d’y marcher du moins avec quelques lumieres. Il ne s’agit donc pas encore de la nomenclature, qui n’est qu’un l’avoir d’herboriste. J’ai toujours cru qu’on pouvoit être un très-grand Botaniste sans connoître une seule plante par son nom; & sans vouloir faire de votre fille un très-grand Botaniste, je crois néanmoins qu’il lui sera toujours utile d’apprendre à bien voir ce qu’elle regarde. Ne vous effarouchez pas au reste de l’entreprise. Vous connoîtrez bientôt qu’elle n’est pas grande. Il n’y a rien de complique ni de difficile à suivre dans ce que j’ai à vous proposer. Il ne s’agit que d’avoir la patience de commencer par le commencement. Après cela on n’avance qu’autant qu’on veut.

[533] Nous touchons à l’arrière-saison, & les plantes dont la structure à le plus de simplicité l’ont déjà passées. D’ailleurs, je vous demande quelque tems pour mettre un peu d’ordre dans vos observations. Mais en attendant que le printems nous mette à portée de commencer & de suivre le cours de la nature, je vais toujours vous donner quelques mots du vocabulaire à retenir.

Une plante parfaite est composée dc racine, de tige, de branches, de feuilles, de fleurs & de fruits, (car on appelle fruit en Botanique, tant dans les herbes que dans les arbres toute la fabrique de la semence). Vous connoissez déjà tout cela, du moins assez pour entendre le mot; mais il y a un partie principale qui demande un plus grand examen; c’est la fructification, c’est-à-dire, la fleur & le fruit. Commençons par la fleur, qui vient la premiere. C’est dans cette partie que la nature a renferme le sommaire de son ouvrage; c’est par elle qu’elle le perpétue, & c’est aussi de toutes les parties du végétal la plus éclatante pour l’ordinaire, toujours la moins sujette aux variations.

Prenez un Lis. Je pense que vous en trouverez encore aisément en pleine fleur. Avant qu’il s’ouvre vous voyez à l’extrémité de la tige un bouton oblong verdâtre, qui blanchit à mesure qu’il est prêt à s’épanouir; & quand il est tout-à-fait ouvert, vous voyez son enveloppe flanche prendre la forme d’un vase divise en plusieurs segmens. Cette partie enveloppante & colorée qui est blanche dans le Lis, s’appelle la corolle, & non pas la fleur comme chez le vulgaire, parce que la fleur est un compose de plusieurs parties dort la corolle est seulement la principale.

[534] La corolle du Lis n’est pas d’une seule piece, comme il est facile à voir. Quand elle se fane & tombe, elle tombe en six pieces bien séparées, qui s’appellent des pétales. Ainsi la corolle du Lis est composée de six pétales. Toute corolle de fleur qui est ainsi de plusieurs pieces, s’appelle corolle polypétale. Si la corolle n’etoit que d’une seule piece, comme par exemple dans le Liseron, appelle clochette des champs, elle s’appelleroit monopétale. Revenons à notre Lis.

Dans la corolle vous trouverez précieusement au milieu une espece de petite colonne attachée tout au fond & qui pointe directement vers le haut. Cette colonne, prise dans son entier, s’appelle le Pistil prise dans ses parties, elle se divise en trois; 1. Sa base renflée en cylindre avec trois angles arrondis tout autour. Cette base s’appelle le Germe. 2. Un filet pose sur le germe. Ce filet s’appelle Style. 3. Le style est couronne par une espece de chapiteau avec trois échancrures. Ce chapiteau s’appelle le Stigmate. Voilà en quoi consiste pistil & ses trois parties.

Entre le pistil & la corolle vous trouvez six autres corps bien distincts, qui s’appellent les Etamines. Chaque étamine est composée de deux parties; savoir, une plus mince par laquelle l’étamine tient au fond de la corolle, & qui s’appelle le Filet. Une plus grosse qui tient à l’extrémité supérieure du filet, & qui s’appelle Anthère. Chaque anthère est une boËte qui s’ouvre quand elle est mure, & verse une poussiere jaune très-odorante, donc nous parlerons dans la suite. Cette poussiere jusqu’ici n’a point de nom françois; chez les Botanistes on l’appelle le Pollen, mot qui signifie poussiere.

[535] Voilà l’analyse grossière des parties de la fleur. A mesure que la corolle se fane & tombe, le germe grossit & devient une capsule triangulaire allongée, dont l’intérieur contient des semences plates distribuées en trois loges. Cette capsule considérée comme l’enveloppe des graines, prend le nom de Péricarpe. Mais je n’entreprendrai pas ici l’analyse du fruit. Ce sera le sujet d’une autre Lettre.

Les parties que je viens de vous nommer se trouvent également dans les fleurs de la plupart des autres plantes, mais à divers degrés de proportion, de situation & de nombre. C’est par l’analogie de ces parties & par leurs diverses combinaisons, que se déterminent les diverses familles du regne végétal. Et ces analogies des parties de la fleur se lient avec d’autres analogies des parties de la plante qui semblent n’avoir aucun rapport à celles-la.. Par exemple, ce nombre de six étamines, quelquefois seulement trois, de six pétales ou divisons de la corolle, & cette forme triangulaire à trois loges de l’ovaire, déterminent toute la famille des liliacées; & dans toute cette même famille qui est très-nombreuse, les racines sont toutes des oignons ou bulbes plus ou moins marquées, & variées quant à leur figure ou, composition. L’oignon du Lis est compose d’écailles en recouvrement; dans l’Asphodèle, c’est une, liasse de navets allongés; dans le Safran, ce sont deux bulbes: l’une sur l’autre; dans la Colchique, à. cote l’une de l’autre mais toujours des bulbes.

Le Lis, que j’ai choisi parce qu’il est de la saison, & aussi à cause de la grandeur de sa fleur & de ses parties qui les rend plus sensibles, manque cependant d’une des parties constitutives [536] d’une fleur parfaite, savoir, le calice. Le calice est cette partie verte & divisée communément en cinq folioles, qui soutient & embrasse par le bas la corolle, & qui l’enveloppe toute entiere avant son épanouissement, comme vous aurez pu le remarquer dans la Rose. Le calice qui accompagne presque toutes les autres fleurs manque à la plupart des liliacées, comme la Tulipe, la Jacinthe, le Narcisse, la Tubéreuse, &c. & même l’Oignon, le Poireau, l’Ail, qui sont aussi de véritables liliacées, quoiqu’elles paroissent sort différentes au premier coup-d’oeil. Vous verrez encore que dans toute cette même famille les tiges sont simples & peu rameuses, tes feuilles entières & jamais découpées; observations qui confirment dans cette famille l’analogie de la fleur & du fruit par celle des autres parties de la plante. Si vous suivez ces détails avec quelque attention, & que vous vous les rendiez familiers par des observations fréquentes, vous voilà déjà en etat de déterminer par l’inspection attentive & suivie d’une plante, si elle est ou non de la famille des liliacées, & cela, sans savoir le nom de cette plante. Vous voyez que ce n’est plus ici un simple travail de la mémoire, mais une étude d’observations & de faits, vraiment digne d’un Naturaliste. Vous ne commencerez pas par dire tout cela à votre fille, & encore moins dans la suite quand vous serez initiée dans les mystérieuse de la végétation; mais vous ne lui développerez par degrés que ce qui peut convenir à son âge & à son sexe, en la guidant pour trouver les choses par elle-même plutôt qu’en les lui apprenant. Bon jour, chere Cousine, si tout ce fatras vous convient; je suis à vos ordres.

[537]

LETTRE II

Du 18 Octobre 1771.

Puisque vous saisissez si bien, chere Cousine, les premiers linéamens des plantes, quoique si légèrement marques, que votre œil clair-voyant sait déjà distinguer un air de famille dans les liliacées, & que notre chere petite Botaniste s’amuse de corolles dc de pétales, je vais vous proposer une autre famille sur laquelle elle pourra derechef exercer son petit savoir; avec un peu plus de difficulté pourtant, je l’avoue, à cause des fleurs beaucoup plus petites, du feuillage plus varie; mais avec le même plaisir de sa part & de la votre; du moins si vous en prenez autant à suivre cette route fleurie que j’en trouve à vous la tracer.

Quand les premiers rayons du printems auront éclaire vos progrès en vous montrant dans les jardins les Jacinthes, les Tulipes, les Narcisses, les Jonquilles à les Muguets dont l’analyse vous est déjà connue, d’autres fleurs arrêteront bientôt vos regards & vous demanderont un nouvel examen. Telles seront les Giroflées ou Violiers; telles les Juliennes ou Girardes. Tant que vous les trouverez doubles, ne vous attachez pas à leur examen; elles seront défigurées, ou, si vous voulez, parées à notre mode, la nature ne s’y trouvera plus: elle refuse de se reproduire par des monstres ainsi mutiles; car si la partie la plus brillante, savoir, la corolle, s’y multiplie, c’est [538] aux dépens des parties plus essentielles qui disparoissent sous cet éclat.

Prenez donc une Giroflée simple, & procédez à l’analyse de sa fleur. Vous y trouverez d’abord une partie extérieure qui manque dans les liliacées, savoir, le calice. Ce calice est de quatre pieces qu’il faut bien appeller feuilles ou folioles, puisque nous n’avons point de mot propre pour les exprimer, comme le mot pétales pour les pieces de la corolle. Ces quatre pieces, pour l’ordinaire, sont inégales de deux en deux: c’est-à-dire, deux folioles opposées l’une à l’autre, égales entr’elles, plus petites; & les deux autres, aussi égales entr’elles & opposées, plus grandes, & sur-tout par le bas ou leur arrondissement fait en dehors une bosse allez sensible.

Dans ce calice vous trouverez une corolle composée de quatre pétales dont je taille à part la couleur, parce qu’elle ne fait point caractere. Chacun de ces pétales est attache au réceptacle ou fond du calice par une partie étroite & pale qu’on appelle l’Onglet, & déborde le calice par une partie plus large & plus colorée, qu’on appelle la Lame.

Au centre de la corolle est un pistil alongé, cylindrique ou à-peu-près, termine par un style très-court, lequel est termine lui-même par un stigmate oblong, bifide, c’est-à-dire partage en deux parties qui se réfléchissent de part & d’autre.

Si vous examinez avec soin la position respective du calice & de la corolle, vous verrez que chaque pétale, au lieu de correspondre exactement à chaque foliole du calice, est pose au contraire entre les deux; de forte qu’il répond à l’ouverture [539] qui les sépare, & cette position alternative a lieu dans toutes les especes de Fleurs qui ont un nombre égal de pétales à la corolle & de folioles au calice.

Il nous reste à parler des étamines. Vous les trouverez dans la Giroflée au nombre de six, comme dans les liliacées, mais non pas de même égales entr’elles, ou alternativement inégales; car vous en verrez seulement deux en opposition l’une de l’autre, sensiblement plus courtes que les quatre autres qui les séparent, & qui en sont aussi séparées de deux en deux.

Je n’entrerai pas ici dans le détail de leur structure & de leur position: mais je vous préviens que si vous y regardez bien, vous trouverez la raison pourquoi ces deux étamines sont plus courtes que les autres, & pourquoi deux folioles du calice sont plus bossues, ou, pour perler en termes de Botanique, plus gibbeuses & les deux autres plus applaties?

Pour achever l’histoire de notre Giroflée, il ne faut pas l’abandonner après avoir analyse sa fleur, mais il faut attendre que la corolle se flétrisse & tombe, ce qu’elle fait assez promptement, & remarquer alors ce que devient le pistil, compose, comme nous l’avons dit ci-devant, de l’ovaire ou péricarpe, du style & du stigmate. L’ovaire s’alonge beaucoup & s’élargit un peu à mesure que le fruit mûrit. Quand il est mur, cet ovaire ou fruit devient une espece de gousse plate appelée Silique.

Cette silique est composée de deux valvules posées l’une fur l’autre, & séparée par une cloison fort mince appelée Médiastin.

[540] Quand la semence est tout-à-fait mure, les valvules s’ouvrent de bas en haut pour lui donner passage, & restent attachées au stigmate par leur partie supérieure.

Alors on voit des graines plates & circulaires posées sur les deux faces du médiastin, & si l’on regarde avec soin comment elles y tiennent, on trouve que c’est par un court pédicule qui attache chaque graine alternativement à droite & à gauche aux futures du médiastin, c’es-à-dire, à ses deux bords par lesquels il etoit comme cousu avec les valvules avant leur séparation.

Je crains sort, chere Cousine, de vous avoir un peu fatiguée par cette longue description; mais elle etoit nécessaire pour vous donner le caractere essentiel de la nombreuse famille des Crucifères ou Fleurs en croix, laquelle compose une classe entiere dans presque tous les systèmes des Botanistes; & cette description difficile à entendre ici sans figure, vous deviendra plus claire, j’ose l’espérer, quand vous la suivrez avec quelque attention, ayant l’objet sous les yeux.

Le grand nombre d’especes qui composent la famille des Crucifères, à détermine les Botanistes à la diviser en deux sections qui, quant à la fleur, sont parfaitement semblables, mais différent sensiblement quant au fruit.

La premiere section comprend les Crucifères à Silique, comme la Giroflée dont je viens de parler, la Julienne, le Cresson de fontaine, les Choux, les Raves, les Navets, la Moutarde, &c.

La seconde section comprend les Crucifères à Silicule, c’es-à-dire, dont la silique en diminutif est extrêmement courte, [541] presque aussi large que longue, & autrement divise en-dedans; comme entre autres le Cresson alénois, dit Nasitort ou Natou, le Thlaspi appelle Taraspi par les Jardiniers, le Cochléaria, la Lunaire, qui, quoique la gousse en soit fort grande, n’est pourtant qu’une silicule, parce que sa longueur excède peu sa largeur. Si vous ne connoissez ni le Cresson alénois, ni le Cochléaria, ni le Thlaspi, ni la Lunaire, vous connoissez, du moins je le présume, la Bourse-à-pasteur, si commune parmi les mauvaises herbes des jardins. Hé bien, Cousine, la Bourse-à-pasteur est une Crucifere à silicule, dont la silicule est triangulaire. Sur celle-là vous pouvez vous former une idée des autres, jusqu’à ce qu’elles vous tombent sous la main.

Il est tems de vous laisser respirer, d’autant plus que cette Lettre, avant que, la saison vous permette d’en faire usage, sera j’espere suivie de plusieurs autres, ou je pourrai ajouter ce qui reste à dire de nécessaire sur les Crucifères & que je n’ai pas dit dans celle-ci. Mais il est bon peut-être de vous prévenir dès-à-présent que dans cette famille & dans beaucoup d’autres vous trouverez souvent des Fleurs beaucoup plus petites que la Giroflée, & quelquefois si petites que vous ne pourrez gueres examiner leurs parties qu’à la faveur d’une loupe; instrument dont un Botaniste ne peut se passer, non plus que d’une pointe, d’une lancette & d’une paire de bons ciseaux fins à découper. En pensant que votre zele maternel peut vous mener jusques-là, je me fais un tableau charmant de ma belle Cousine empressée avec son verre à éplucher des monceaux de Fleurs, cent fois moins fleuries, moins fraîches & moins agréables qu’elle. Bon jour, Cousine, jusqu’au chapitre suivant.

[542]

LETTRE III

Du 16 Mai 1772.

Je suppose, chere Cousine, que vous avez bien reçu ma précédente réponse, quoique vous ne m’en parliez point dans votre seconde Lettre. Répondant maintenant à celle-ci, j’espere sur ce que vous m’y marquez, que la maman bien rétablie est partie en bon etat pour la Suisse, & je compte que vous, n’oublierez pas de me donner avis de l’effet de ce voyage & des eaux qu’elle va prendre. Comme tante Julie a du partir avec elle, j’ai charge M. G. qui retourne au Val-de-Travers, du petit herbier qui lui est destine, & je l’ai mis à votre adresse afin qu’en son absence vous puissiez le recevoir & vous en servir; si tant est que parmi ces échantillons informes il se trouve quelque chose à votre usage. Au reste, je n’accorde pas que vous ayez des droits sur ce chiffon. Vous en avez sur celui qui sa fait, les plus forts & les plus chers que je connoisse; mais pour l’herbier, il fut promis à votre sœur, lorsqu’elle herborisoit avec moi dans nos promenades à la croix de Vague, & que vois ne songiez à rien moins dans celles ou mon coeur & mes pieds vous suivoient avec grand-Maman en Vaise. Je rougis de lui avoir tenu parole si tard & si mal; mais enfin elle avoir sur vous à cet égard ma parole, & l’antériorité. Pour vous, chere Cousine, si je ne vous promets pas un herbier de ma main, c’est pour vous [543] en procurer un plus précieux de la main de votre fille, si vous continuez à suivre avec elle cette douce & charmante étude qui remplit d’intéressantes observations sur la nature, ces vides du tems que les autres consacrent à l’oisiveté ou à pis. Quant à présent reprenons le fil interrompu de nos familles végétales.

Mon intention est de vous décrire d’abord six de ces familles pour vous familiariser avec la structure générale des parties caractéristiques des plantes. Vous en avez déjà deux; reste à quatre qu’il faut encore avoir la patience de suivre, après quoi laissant pour un tems les autres branches de cette nombreuse lignée, & passant à l’examen des parties différentes de la fructification, nous ferons en sorte que sans, peut-être, connoître beaucoup de plantes, vous ne serez du moins jamais en terre étrangère parmi les productions du regne végétal.

Mais je vous préviens que si vous voulez prendre des livres, suivre la nomenclature ordinaire, avec beaucoup de noms vous aurez peu d’idées, celles que vous aurez se brouilleront & vous ne suivrez bien ni ma marche ni celle des autres, & m’aurez tout au plus qu’une connoissance de mots. Chere Cousine, je fuis jaloux d’être votre seul guide dans cette partie. Quand il en sera tems je vous indiquerai les livres que vous pourrez consulter. En, attendant, ayez la patience de ne lire que dans celui de la nature & de vous en tenir à mes lettres.

Les Pois sont à présent en pleine fructification. Saisissons ce moment pour observer leurs caracteres. Il est un des plus curieux que puisse offrir la Botanique. Toutes les fleurs se divisent généralement [544] en régulières & irrégulières. Les premieres sont celles dont toutes les parties s’écartent uniformément du centre de la fleur, & aboutiroient ainsi par leurs extrémités extérieures a la circonférence d’un cercle. Cette uniformité fait qu’en présentant à l’œil les fleurs de cette espece, il n’y distingue ni dessus ni dessous, ni droite ni gauche; telles sont les deux familles ci-devant examinées. Mais au premier coup-d’oeil vous verrez qu’une fleur de Pois est irrégulière, qu’on y distingue aisément dans la corolle la partie plus longue qui doit être en haut, de la plus courte qui doit être en bas, & qu’on conçoit fort bien, en présentant la fleur vis-à-vis de l’œil, si on la tient dans sa situation naturelle ou si on la renverse. Ainsi toutes les fois qu’examinant une fleur irrégulière, on parle du haut & du bas, c’est en la plaçant dans sa situation naturelle.

Comme les fleurs de cette famille sont d’une construction fort particuliere, non-seulement il faut avoir plusieurs fleurs de Pois & les disséquer successivement, pour observer toutes leurs parties l’une après l’autre, il faut même suivre le progrès de la fructification depuis la premiere floraison jusqu’à la maturité du fruit.

Vous trouverez d’abord un calice monophylle, c’es-à-dire d’une seule piece terminée en cinq pointes bien distinctes, dont deux un peu plus larges sont en haut, & les trois plus étroites en bas. Ce calice est recourbe vers le bas, de même que le pédicule qui le soutient, lequel pédicule est très-délie, très-mobile, en sorte que la fleur suit aisément le courant de l’air & présente ordinairement son dos au vent & à la pluie.

Le calice examine, on l’ôte, en le déchirant délicatement [545] de maniere que le reste de la fleur demeure entier, & alors vous voyez clairement que la corolle est polypétale.

Sa premiere piece est un grand & large pétale qui couvre les autres & occupe la partie supérieure de la corolle, à cause de quoi ce grand pétale à pris le nom de Pavillon. Un l’appelle aussi l’Etendard. Il faudroit se boucher les yeux & l’esprit pour ne pas voir que ce pétale est-là comme un parapluie pour garantir ceux qu’il couvre des principales injures de l’air.

En enlevant le pavillon comme vous avez fait le calice, nous remarquerez qu’il est emboîte de chaque cote par une petite oreillette dans les pieces latérales, de maniere que sa situation ne puisse être dérangée par le vent.

Le pavillon ôte laisse à découvert ces deux pieces latérales auxquelles il etoit adhérent par ses oreillettes; ces pieces latérales s’appellent les Aîles. Vous trouverez en les détachant qu’emboîtées encore plus sortement avec celle qui reste, elles n’en peuvent être séparées sans quelque effort, Aussi les ailes ne sont gueres moins utiles pour garantir les cotes de la fleur que le pavillon pour la couvrir.

Les ailes ôtées vous laissent voir la derniere piece de corolle; piece qui couvre & défend le centre de la fleur, l’enveloppe, sur-tout par-dessous, aussi soigneusement que les trois autres pétales enveloppent le dessus & les cotes. Cette derniere piece qu’a cause de sa forme on appelle la Nacelle, est comme le coffre-fort dans lequel la nature a mis son trésor à l’abri des atteintes de l’air & de l’eau.

Après avoir bien examine ce pétale, tirez-le doucement par-dessous en le pinçant légèrement par la quille, c’es-à-dire, [546] par la prise mince qu’il vous présente, de peur d’enlever avec lui ce qu’il enveloppe. Je suis sur qu’au moment ou ce dernier pétale sera force de lâcher prise & de déceler le mystère qu’il cache, vous ne pourrez en l’appercevant vous abstenir de faire un cri de surprise & d’admiration.

Le jeune fruit qu’enveloppoit la nacelle est construit de cette maniere. Une membrane cylindrique terminée par dix filets bien distincts entoure l’ovaire, c’es-à-dire, l’embrion de la gousse. Ces dix filets sont autant d’étamines qui se réunissent par le bas autour du germe & se terminent par le haut en autant d’anthères jaunes dont la poussiere va seconder le stigmate qui termine le pistil, & qui, quoique jaune aussi par la poussiere fécondante qui s’y attache, se distingue aisément des étamine par sa figure & par sa grosseur. Ainsi ces dix étamines forment encore autour de l’ovaire une derniere cuirasse pour le préserver des injures du dehors.

Si vous y regardez de bien près, vous trouverez que ces dix étamines ne sont par leur base un seul corps qu’en apparence. Car dans la partie supérieure de ce cylindre il y a une piece ou étamine qui d’abord paroit adhérente aux autres, mais qui à mesure que la fleur se fane & que le fruit grossit, se détache & laisse une ouverture en-dessus par laquelle ce fruit grossissant peut s’étendre en entrouvrant & écartant de plus le cylindre qui sans cela le comprimant & l’étranglant tout autour l’empecheroit de grossir & de profiter. Si la fleur n’est pas assez avancée, vous ne verrez pas cette étamine détachée du cylindre; mais passez un camion dans deux petits trous que vous trouverez près du réceptacle à la base [547] de cette étamine, & bientôt vous verrez l’étamine avec son anthère suivre l’épingle & se détacher des neuf autres qui continueront toujours de faire ensemble un seul corps, jusqu’à ce qu’elles se flétrissent & dessèchent quand le germe féconde devient gousse & qu’il n’a plus besoin d’elles.

Cette Gousse dans laquelle l’ovaire se change en mûrissant se distingue de la Silique des crucifères, en ce que dans la Silique les graines sont attachées alternativement aux deux futures, au lieu que dans la Gousse elles ne sont attachées que d’un cote, c’est-à-dire, à une seulement des deux futures, tenant alternativement à la vérité aux deux valves qui la composent, mais toujours du même cote. Vous saisirez parfaitement cette différence, si vous ouvrez en même tems la Gousse d’un Pois & la Silique d’une Giroflée, ayant attention de ne les prendre ni l’une ni l’autre en parfaite maturité, afin qu’après l’ouverture du fruit les graines restent attachées par leurs ligamens à leurs futures & à leurs valvules.

Si je me fuis bien fait entendre, vous comprendrez, chere Cousine, quelles étonnantes précautions ont été cumulées par la nature pour amener l’embrion du Pois à maturité, & le garantir sur-tout, au milieu des plus grandes pluies, de l’humidité qui lui est funeste, sans cependant l’enfermer dans une coque dure qui en eut fait une autre sorte de fruit. Le suprême Ouvrier, attentif à la conservation de tous les êtres, a mis de grands soins à garantir la fructification des plantes des atteintes qui lui peuvent nuire; mais il paroit avoir redouble d’attention pour celles. qui servent à la nourriture de l’homme & des animaux, comme la plupart des légumineuses. [548] L’appareil de la fructification du Pois est, en divises proportions, le même dans toute cette famille. Les fleurs y portent le nom de Papillonacées, parce qu’on a cru y voir quelque chose de semblable à la figure d’un papillon: elles ont généralement un Pavillon, deux Aîles, une Nacelle, ce qui fait communément quatre pétales irréguliers. Mais il y a des genres ou la nacelle se divise dans sa longueur en deux pieces presque adhérentes par la quille, & ces fleurs-là ont réellement cinq pétales: d’autres, comme le Treffle des près, ont toutes leurs parties attachées en une seule piece, & quoique Papillonacées ne laissant pas d’être monopétales.

Les Papillonacées ou légumineuses sont une des familles des plantes les plus nombreuses & les plus utiles. Un y trouve les Fèves, les Genets, les Luzernes, Sainfoins., Lentilles, Veces, Gesses, les Haricots, dont le caractere est d’avoir la nacelle contournée en spirale, ce qu’on prendroit d’abord pour un accident. Il y a des arbres, entre autres celui qu’on appelle vulgairement Acacia, & qui n’est pas le véritable Acacia, l’Indigo, la Réglisse en sont aussi: mais nous parlerons de tout cela plus en détail dans la suite. Bon jour Cousine. J’embrasse tout, ce que vous aimez.

[549]

LETTRE IV

Du 19 Juin 1772.

Vous m’avez tire de peine, chere Cousine, mais il me reste encore de l’inquiétude sur ces maux d’estomac appelles maux de coeur, dont votre maman sent les retours dans l’attitude d’écrire. Si c’est seulement l’effet d’une plénitude de bile, le voyage & les eaux suffiront pour l’évacuer; mais je crains bien qu’il n’y ait à ces accidens quelque cause locale qui ne sera pas si facile à détruire, & qui demandera toujours d’elle un grand ménagement, même après son rétablissement. J’attends de vous des nouvelles de ce voyage, aussi-tôt que vous en aurez; mais j’exige que la maman ne songe à m’écrire que pour m’apprendre son entiere guérison.

Je ne puis comprendre pourquoi vous n’avez pas reçu l’herbier. Dans la persuasion que tante Julie etoit déjà partie, j’avois remis le paquet à M. G. pour vous l’expédier en passant à Dijon. Je n’apprends d’aucun cote qu’il soit parvenu ni dans vos mains ni dans celles de votre sœur, & je n’imagine plus ce qu’il peut être devenu.

Parlons de plantes tandis que la saison de les observer nous y invite. Votre solution de la question que je vous avois faite sur les étamines des Crucifères est parfaitement juste, & me prouve bien que vous m’avez entendu ou plutôt que vous m’avez écoute; car vous n’avez besoin que d’écouter pour entendre. [550] Vous m’avez bien rendu raison de la gibbosité de deux folioles du calice & de la brièveté relative de deux étamines, dans la Giroflée, par la courbure de ces deux étamines. Cependant un pas de plus vous eut mene jusqu’à la cause premiere de cette structure: car si vous recherchez encore pourquoi ces deux étamines sont ainsi recourbées & par conséquent raccourcies, vous trouverez une petite glande implantes sur le réceptacle entre l’examine & le germe, c’est cette glande qui, éloignant l’étamine & la forçant à prendre le contour, la raccourcit nécessairement. Il y a encore sur le même réceptacle deux autres glandes, une au pied de chaque paire des grandes étamines; mais ne leur faisant point faire de contour, elles ne les raccourcissent pas, parce que ces glandes ne sont pas, comme les deux premieres, en dedans; c’es-à-dire, entre l’étamine & le germe; mais en dehors c’es-à-dire entre la paire d’étamines & le calice. Ainsi ces quatre étamines soutenues & dirigées verticalement en droite ligne, débordent celles qui sont recourbées & semblent plus longues parce qu’elles sont plus droites. Ces quatre glandes se trouvent, ou du moins leurs vestiges, plus nu moins visiblement dans presque toutes les fleurs Crucifères, & dans quelques-unes bien plus distinctes que dans la Giroflée. Si vous demandez encore pourquoi ces glandes? Je vous répondrai qu’elles sont un des instrumens destines par la nature à unir le regne végétal au regne animal, & les faire circuler l’un dans l’autre: mais laissant ces recherches un peu trop anticipées, revenons quant-à-présent à nos familles.

Les fleurs que je vous ai décrites jusqu’à présent sont toutes [551] polypétale. J’aurois du commencer peut-être par let monopétales régulières dont la structure est beaucoup plus simple: cette grande simplicité même est ce qui m’en a empêche. Les monpétales régulières constituent moins une famille qu’une grande nation dans laquelle on compte plusieurs familles bien distinctes; en sorte que pour les comprendre toutes sous une indication commune, il faut employer des caracteres si généraux & si vagues que c’est paroître dire quelque chose, en ne disant en effet presque rien du tout. Il vaux mieux se renfermer dans des bornes plus étroites, mais qu’on puisse assigner avec plus de précision.

Parmi les monopétales irrégulieres, il y a une famille dont la physionomie est si marquée qu’on en distingue aisément les membres à leur air. C’est celle à laquelle on donne le nom de fleurs en gueule, parce que ces fleurs sont fendues en deux levres dont l’ouverture; soit naturelle, soit produite par une légere compression des doigts, leur donne l’air d’une gueule béante. Cette famille se subdivise en deux sections ou lignées. L’une des fleurs en levres ou labiées, l’autre des: fleurs en masque ou personnées: car le mot latin persona signifie un masque, nom très-convenable assurément à la plupart des gens qui portent parmi nous celui de personnes. Le caractere commun à toute la famille est non-seulement d’avoir la corolle monopétale, &, comme je l’ai dit, fendue en deux levres ou babines, l’une supérieure appelée casque, l’autre inférieure appelée barbe., mais d’avoir quatre étamines presque sur un même rang distinguées en deux paires, l’une plus longue & l’autre plus courte. L’inspection de l’objet vous expliquera mieux ces caracteres que ne peut faire le discours.

[552] Prenons d’abord les labiées. Je vous en donnerois volontiers pour exemple la Sauge, qu’on trouve dans presque tous les jardins. Mais la construction particuliere & bizarre de ses étamines qui l’a fait retrancher par quelques Botanistes du nombre des labiées, quoique la nature ait semble l’y inscrire, me porte à chercher un autre exemple dans les Orties mortes & particulièrement dans l’espece appelée vulgairement Ortie blanche, mais que les Botanistes appellent plutôt Lamier blanc, parce qu’elle n’a nul rapport à l’Ortie par sa fructification, quoiqu’elle en ait beaucoup par son feuillage. L’Ortie blanche, si commune par-tout, durant très-long-tems en fleur, ne doit pas vous être difficile à trouver. Sans m’arrêter ici à l’élégante situation des fleurs, je me borne à leur structure. L’Ortie blanche porte une fleur monopétale labiée, dont le casque est concave & recourbe en forme de voûte pour recouvrir le reste de la fleur & particulièrement ses étamines qui se tiennent toutes quatre assez ferrées sous l’abri de son toit. Vous discernerez aisément la paire plus longue & la paire plus courte, & au milieu des quatre le style de la même couleur, mais qui s’en distingue en ce qu’il est simplement fourchu par son extrémité au lieu d’y porter une anthère comme sont les étamines. La barbe, c’es-à-dire, la levre inférieure se replie & pend en en-bas, & par cette situation laisse voir presque jusqu’au fond le dedans de la corolle. Dans les Lamiers cette barbe est refendue en longueur dans son milieu, mais cela n’arrive pas de même aux autres labiées.

Si vous arrachez la corolle, vous arracherez avec elle les étamines qui y tiennent par leurs filets, & non pas au réceptacle [553] ou le style restera seul attache. En examinant comment les étamines tiennent à d’autres fleurs, on les trouve généralement attachées à la corolle quand elle est monopétale, & au réceptacle ou au calice quand la corolle est 1 polypétale: en sorte qu’on peut, en ce dernier cas, arracher les pétales sans arracher les étamines. De cette observation l’on tire une regle belle, facile & même assez sure pour savoir si une corolle est d’une seule piece ou de plusieurs, lorsqu’il est difficile, comme il l’est quelquefois, de s’en assurer immédiatement.

La corolle arrachée reste percée à son fond, parce qu’elle etoit attachée au réceptacle, laissant une ouverture circulaire par laquelle le pistil & ce qui l’entoure pénétroit au-dedans du tube & de la corolle. Ce qui entoure ce pistil dans le Lamier & dans toutes les labiées, ce sont quatre embryons qui deviennent quatre graines nues, c’es-à-dire, sans aucune enveloppe; en sorte que ces graines, quand elles sont mures, se détachent & tombent à terre séparément. Voilà le caractere des labiées.

L’autre lignée ou section, qui est celle des personnées, se distingue des labiées, premièrement par sa corolle dont les deux levres ne sont pas ordinairement ouvertes dc béantes, mais fermées & jointes, comme vous le pourrez voir dans la fleur de jardin appelée Mufflaude ou Muffle de veau, ou bien à son défaut dans la Linaire, cette fleur jaune à éperon, si commune en cette saison dans la campagne. Mais un caractere plus précis & plus sur est qu’au lieu d’avoir quatre graines nues au fond du calice comme les labiées, les personnées y ont toutes une capsule qui renferme les graines & ne s’ouvre [554] qu’a leur maturité pour les répandre. J’ajoute à ces caracteres qu’un grand nombre de labiées sont ou des plantes ou des plantes odorantes & aromatiques, telles que l’Origan, la Marjolaine, le Thym, le Serpolet, le Basilic, la Menthe, l’Hysope, la Lavande, &c, ou des plantes odorantes & puantes, telles que diverses especes d’Orties mortes, Staquis, Crapaudines, Marrube; quelques-unes seulement, telles que le Bugle, la Brunelle, la Toque n’ont pas d’odeur: au lieu que les personnées sont pour la plupart des plantes sans odeur comme la Mufflaude, Linaire, l’Euphraise, la l’Pédiculaire, la Crête de coq, l’Orobanche, la Cymbalaire, la Velvote, la Digitale; je ne connois gueres d’odorantes dans cette branche que la Scrophulaire qui sente & qui que, sans être aromatique. Je ne puis gueres vous citer ici que des plantes qui vraisemblablement ne vous sont pas connues, mais que peu-à-peu vous apprendrez à connoître, & dont au moins à leur rencontre vous pourrez par vous-même déterminer la famille. Je voudrois même que vous tâchassiez d’en déterminer la lignée ou section, par la physionomie, & que vous vous exerçassiez à juger au simple coup-d’oeil, si la fleur en gueule que vous voyez est une labiée, ou une personnée. La figure extérieure de la corolle peut suffire pour vous guider dans ce choix, que vous pourrez vérifier ensuite en ôtant la corolle & regardant au fond du calice; car si vous avez bien juge, la fleur que vous aurez nommée labiée vous montrera quatre graines nues, & celles que vous aurez nommée personnée vous montrera un péricarpe: le contraire vous prouveroit que vous vous êtes trompée, & par un second examen de la même plante [555] vous préviendrez une erreur semblable pour une autre fois. Voilà, chere Cousine, de l’occupation pour quelques promenades. Je ne tarderai pas à vous en préparer pour celles qui suivront.

LETTRE V

Du 16 Juillet 1772.

Je vous remercie, chere Cousine, des bonnes nouvelles que vous m’avez données de la maman. J’avois espere le bon effet du changement d’air, & je n’en attends pas moins des eaux & sur-tout du régime austère prescrit durant leur usage. Je suis touche du souvenir de cette bonne amie, & je vous prie de l’en remercier pour moi. Mais je ne veux pas absolument qu’elle m’écrive durant son séjour en Suisse, & si elle veut me donner directement de ses nouvelles, elle a près d’elle un bon secrétaire* [*La sœur de Madame D. L***. que l’Auteur appelloit tante Julie.] qui s’en acquittera fort bien. Je suis plus charme que surpris qu’elle réussisse en Suisse; indépendamment des grâces de son âge, & de sa gaîté vive & caressante, elle a dans le caractere un fond de douceur & d’égalité, dont je l’ai vu donner quelquefois à la grand’maman l’exemple charmant qu’elle a reçu de vous. Si votre sœur s’établit en Suisse, vous perdrez l’une & l’autre une grande douceur dans la vie, & elle sur-tout, des avantages difficiles à remplacer. Mais [556] votre pauvre maman qui porte-à-porte, sentoit pourtant si cruellement sa séparation d’avec vous, comment supportera-t-elle la sienne à une si grande distance? C’est de vous encore qu’elle tiendra ses dédommagemens & ses ressources. Vous lui en ménagez une bien précieuse en assouplissant dans vos douces mains la bonne & forte étoffe de votre favorite, qui, je n’en doute point, deviendra par vos soins aussi pleine de grandes qualités que de charmes. Ah cousine, l’heureuse mere que la votre!

Savez-vous que je commence à être en peine du petit herbier? Je n’en ai d’aucune part aucune nouvelle, quoique j’en aye eu de M. G. depuis son retour, par sa femme qui ne me dit pas de sa part un seul mot sur cet herbier. Je lui en ai demande des nouvelles; j’attends sa réponse. J’ai grand’peur que ne passant pas à Lyon, il n’ait confie le paquet à quelque quidam, qui sachant que c’etoient des herbes sèches aura pris tout cela pour du soin. Cependant, si comme je l’espere encore, il parvient enfin à votre sœur Julie ou à vous, vous trouverez que je n’ai pas laisse d’y prendre quelque soin. C’est une perte qui, quoique petite, ne me seroit pas facile à réparer promptement, sur-tout à cause du catalogue accompagne de divers petits éclaircissemens ecrits sur-le-champ, & dont je n’ai garde aucun double.

Consolez-vous, bonne Cousine, de n’avoir pas vu les glandes des Crucifères. De grands Botanistes très-bien oculés ne les ont pas mieux vues. Tournefort lui-même n’en fait aucune mention. Elles sont bien claires dans peu de genres, quoiqu’on en trouve des vestiges presque dans tous, & c’est à [557] force d’analyser des fleurs en croix & d’y voir toujours des inégalités au réceptacle, qu’en les examinant en particulier, on a trouve que ces glandes appartenoient au plus grand nombre des genres, & qu’on les suppose par analogie dans ceux mêmes ou on ne les distingue pas.

Je comprends qu’on est fache de prendre tant de peine sans apprendre les noms des plantes qu’on examine. Mais je vous avoue de bonne foi qu’il n’est pas entre dans mon plan de vous épargner ce petit chagrin. On prétend que la Botanique n’est qu’une science de mots qui n’exerce que la mémoire & n’apprend qu’a nommer des plantes. Pour moi, je ne connois point d’étude raisonnable qui ne soit qu’une science de mots; & auquel des deux, je vous prie, accorderai-je le nom de Botaniste, de celui qui fait cracher un nom ou une phrase à l’aspect d’une plante, sans rien connoître à sa structure, ou de celui qui connoissant très-bien cette structure ignore néanmoins le nom très-arbitraire qu’on donne à cette plante en tel ou en tel pays? Si nous ne donnons à vos enfans qu’une occupation amusante, nous manquons la meilleure moitie de notre but qui est, en les amusant, d’exercer leur intelligence & de les accoutumer à l’attention. Avant de leur apprendre à nommer ce qu’ils voient, commençons par leur apprendre à le voir. Cette science oubliée dans toutes les éducations doit faire la plus importante partie de la leur. Je ne le redirai jamais assez; apprenez-leur à ne jamais se payer de mots, & à croire ne rien savoir de ce qui n’est entre que dans leur mémoire.

Au reste, pour ne pas trop faire le méchant, je vous nomme [558] pourtant des plantes sur lesquelles, en vous les faisant montrer, vous pouvez aisément vérifier descriptions. Vous n’aviez pas, je le suppose, sous vos yeux, une Ortie blanche, en lisant l’analyse des labiées; mais vous n’aviez qu’a envoyer chez l’herboriste du coin chercher de l’Ortie blanche fraîchement cueillie, vous appliquiez à sa fleur ma description, & ensuite examinant, les autres parties de la plante de la maniere dont nous traiterons ci-après, vous connoissez l’Ortie blanche infiniment mieux que l’herboriste qui la fournit ne la connoîtra de ses jours; encore trouverons-nous dans peu le moyen de nous passer d’herboriste: mais il faut premiérement achever l’examen de nos famille; ainsi je viens à la cinquieme qui, dans ce moment, est en pleine fructification.

Représentez-vous une longue tige assez droite garnie alternativement de feuilles pour l’ordinaire découpées assez menu, lesquelles embrassent par leur base des branches qui sortent de leurs aisselles. De l’extrémité supérieure de cette tige parent comme d’un centre plusieurs pédicules ou rayons, qui s’écartant circulairement & régulièrement comme les cotes d’un parasol, couronnent cette tige en forme d’un vase plus ou moins ouvert. Quelquefois ces rayons laissent un espace vide dans leur milieu & représentent alors plus exactement le creux du vase; quelquefois aussi ce milieu est fourni d’autres rayons plus courts, qui montant moins obliquement garnissent le vase & forment conjointement avec les premiers la figure à-peu-près d’un demi globe dont la partie convexe est tournée en-diffus.

Chacun de ces rayons ou pédicules est termine à son extrémité, [559] non pas encore par une fleur, mais par un autre ordre de rayons plus petits qui couronnent chacun des premiers précieusement comme ces premiers couronnent la tige.

Ainsi voilà deux ordres pareils & successifs: l’un de grands rayons qui terminent la tige, l’autre de petits rayons semblables, qui terminent chacun des grands.

Les rayons des petits parasols ne se subdivisent plus, mais chacun d’eux est le pédicule d’une petite fleur dont nous parlerons tout à l’heure.

Si vous pouvez former l’idée de la figure que je viens de vous décrire, vous aurez celle de la disposition des fleurs dans la famille des ombellifères ou porte-parasols: car le latin umbella signifie un parasol.

Quoique cette disposition régulière de la fructification soit frappante & assez constante dans toutes les ombelliferes, ce n’est pourtant pas elle qui constitue le caractere de la famille. Ce caractere se tire de la structure même de la fleur, qu’il faut maintenant vous décrire.

Mais il convient pour plus de clarté, de vous donner ici une distinction générale sur la disposition relative de la fleur & du fruit dans toutes les plantes, distinction qui facilite extrêmement leur arrangement méthodique, quelque système qu’on veuille choisir pour cela.

Il y a des plantes, & c’est le plus grand nombre, par exemple l’OEillet, dont l’ovaire est évidemment enferme dans la corolle. Nous donnerons à celles-la le nom de fleurs inferes, parce que les pétales embrassant l’ovaire prennent leur naissance au-dessous de lui.

[560] Dans d’autres plantes en assez grand nombre, l’ovaire se trouve place, non dans les pétales, mais au-dessous d’eux; ce que vous pouvez voir dans la Rose; car le Grate-cu qui en est le fruit, est ce corps verd & renfle que vous voyez au-dessous du calice, par conséquent aussi au-dessous de la corolle qui de cette maniere couronne cet ovaire & ne l’enveloppe pas. J’appellerai celles-ci fleurs superes, parce que la corolle est au-dessous du fruit. On pourroit faire des mots plus francises: mais il me paroit avantageux de vous tenir toujours le plus près qu’il se pourra des termes admis dans la Botanique, afin que sans avoir besoin d’apprendre ni latin ni grec, vous puissiez néanmoins entendre passablement le vocabulaire de cette science, pédantesquement tire de ces deux langues, comme si pour connoître les plantes, faloit commencer par être un savant grammairien.

Tournefort exprimoit la même distinction en d’autres termes: dans le cas de la fleur infere. il disoit que le pistil devenoit fruit: dans le cas de la fleur supere, il disoit que le calice devenoit fruit. Cette maniere de s’exprimer pouvoir être aussi claire, mais elle n’etoit certainement pas aussi juste. Quoi qu’il en soit, voici une occasion d’exercer, quand il en sera tems, vos jeunes élevés à savoir démêler les mêmes idées, rendues par des termes tout differens.

Je vous dirai maintenant que les plantes ombellifères ont 1a fleur supere, ou posée sur le fruit. La corolle de cette fleur est à cinq pétales appelles réguliers, quoique souvent les deux pétales qui sont tournes en-dehors dans les fleurs qui bordent l’ombelle, soient plus grands que les trois autres.

[561] La figure de ces pétales varie selon les genres, mais le plus communément elle est en coeur; l’onglet qui porte sur l’ovaire est fort mince; la lame va en s’élargissant, son bord est émarginé (légèrement échancré), ou bien il se termine en une pointe qui, se repliant en-dessus, donne encore au pétale l’air d’être émarginé, quoiqu’on le vit pointu s’il doit déplie.

Entre chaque pétale est une étamine dont l’anthère débordant ordinairement la corolle, rend les cinq. étamines plus visibles que les cinq pétales. Je ne sais pas ici mention du.calice, parce que les ombellifères n’en ont aucun bien distinct.

Du centre de la fleur partent deux styles garnis chacun de leur stigmate, & assez apparens aussi, lesquels après la chute des pétales & des étamines, restent pour couronner le fruit.

La figure la plus commune de ce fruit est un ovale un peu alonge, qui dans sa maturité s’ouvre par la moitie, & se partage en deux semences nues attachées au pédicule, lequel par un art admirable se divise en deux ainsi que le fruit, & tient les graines séparément suspendues, jusqu’à leur chute.

Toutes ces proportions varient selon les genres, mais en voilà l’ordre le plus commun. Il faut, je l’avoue, avoir l’œil très-attentif pour bien distinguer sans loupe de si petits objets; mais ils sont si dignes; d’attention, qu’on n’a pas regret à sa peine.

Voici donc le caractere propre de la famille des ombellifères: Corolle supere à cinq pétales, cinq étamines, deux [562] styles portes sur un fruit nud disperme, c’es-à-dire, composé de deux graines accolées.

Toutes les fois que vous trouverez ces caracteres réunis dans une fructification, comptez que la plante est une ombelliferes, quand même elle n’auroit d’ailleurs dans son arrangement rien de l’ordre ci-devant marque. Et quand vous trouveriez tout cet ordre de parasols conforme à ma description, comptez qu’il vous trompe, s’il est démenti par l’examen de la fleur.

S’il arrivoit, par exemple, qu’en sortant de lire ma Lettre vous trouvassiez en vous promenant un Sureau encore en fleurs, je suis presque assure qu’au premier aspect vous diriez, voilà une ombelliferes. En y retardant, vous trouveriez grande ombelle, petite ombelle, petites fleurs blanches, corolle supere, cinq étamines: c’est une ombelliferes assurément; mais voyons encore: je prends une fleur.

D’abord, au lieu de cinq pétales, je trouve une corolle à cinq divisions, il est vrai, mais néanmoins d’une seule piece. Or les fleurs des ombellifères ne sont pas monopétales. Voilà bien cinq étamines, mais je ne vois point de styles, &, je vois plus souvent trois stigmates que cieux, plus souvent trois, graines que deux. Or les ombellifères n’ont jamais ni plus ni moins de deux stigmates, ni plus ni moins de deux graines pour chaque fleur. Enfin le fruit du Sureau est une baye molle, & celui des ombellifères est sec & nud. Le Sureau n’est donc pas une ombelliferes.

Si vous revenez maintenant sur vos pas en regardant de plus près à la disposition des fleurs, vous verrez que cette [563] disposition n’est qu’en apparence celle des ombellifères. Les grands rayons, au lieu de partir exactement du même centre prennent leur naissance les uns plus haut, les autres plus bas; les petits naissent encore moins régulièrement: tout cela n’a point l’ordre invariable des ombellifères. L’arrangement des fleurs du Sureau est en Corymbe, ou bouquet plutôt qu’en ombelle. Voilà comment en nous trompant quelquefois, nous finissons par apprendre à mieux voir.

Le Chardon-roland, au contraire, n’a gueres le port d’une ombelliferes, & néanmoins c’en est une, puisqu’il en a tous les caracteres dans sa fructification. Ou trouver, me direz-vous, le Chardon-roland? par toute la campagne. Tous les grands chemins en sont tapisses à droite & à gauche: le premier paysan peut vous le montrer, & vous le reconnoîtriez presque vous-même à la couleur bleuâtre ou verd-de-mer de ses feuilles, à leurs durs piquans & à leur consistance lice & coriace comme du parchemin. Mais on peut laisser une plante aussi intraitable; elle n’a pas assez de beauté pour dédommager des blessures qu’on se fait en l’examinant; & fut-elle cent fois plus jolie, ma petite Cousine avec ses petits doigts sensibles seroit bientôt rebutée de caresser une plante de si mauvaise humeur.

La famille des ombellifères et nombreuse, & si naturelle que ses genres sont très-difficiles à distinguer: ce font des freres que la grande ressemblance fait souvent prendre l’un pour l’autre. Pour aider à s’y reconnoître, on a imagine des distinctions principales qui sont quelquefois utiles, mais sur lesquelles il ne faut pas nom plus trop compter. Le foyer d’ou [564] partent les rayons, tant de la grande que de la petite ombelle; n’est pas toujours nud; il est quelquefois entoure de folioles, comme d’une manchette. On donne a ces folioles le nom d’involucre (enveloppe). Quand la grande ombelle à une manchette, on donne à cette manchette le nom de grand involucres: on appelle petits involucres, ceux qui entourent quelquefois les petites ombelles. Cela donne lieu à trois sections des ombellifères.

1°. Celles qui ont grand involucre & petits involucres.

2°. Celles qui n’ont que les petits involucres seulement.

3°. Celles qui n’ont ni grands ni petits involucres.

Il sembleroit manquer une quatrieme division de celles qui ont un grand involucre & point de petits; mais on ne connoît aucun genre qui soit constamment dans ce cas.

Vos étonnans progrès, chere Cousine, & votre patience m’ont tellement enhardi que, comptant pour rien votre peine, j’ai ose vous décrire la famille des ombellifères sans fixer vos yeux sur aucun modele, ce qui a rendu nécessairement votre attention beaucoup plus fatigante. Cependant j’ose douter, lisant comme vous savez faire, qu’après une ou deux lectures de ma Lettre, une ombelliferes en fleurs échappe à votre esprit en frappant vos yeux, & dans cette saison vous ne pouvez manquer d’en. trouver plusieurs dans les jardins & dans la campagne.

Elles ont la plupart les fleurs blanches. Telles sont la Carotte, le Cerfeuil, le Persil, la CiguË, l’Angélique, la Berce, la Berle, la Boucage, le Chervis ou Girole, la Percepierre, &c.

[565] Quelques-unes, comme le Fenouil, l’Anet, le Panais, sont à fleurs jaunes; il y en a peu à fleurs rougeâtres, & point: d’aucune autre couleur.

Voilà, me direz-vous, une belle notion générale des ombellifères: mais comment tout ce vague savoir une garantira-t-il de confondre la CiguË avec le Cerfeuil & le Persil, que vous venez de nommer avec elle? La moindre cuisinière en saura la-dessus plus que nous avec toute notre doctrine. Vous. avez raison. Mais cependant si nous commençons par les observations de détail, bientôt accables par le nombre, la mémoire nous abandonnera, & nous nous perdrons des les premiers pas dans ce regne immense; au lieu que si nous commençons par bien reconnoître les grandes routes, nous nous égarerons rarement dans les sentiers, & nous nous retrouverons par-tout sans beaucoup de peine. Donnons cependant quelque exception à l’utilité de l’objet, & ne nous exposons pas, tout en analysant le regne végétal, à manger par ignorance une omelette à la CiguË.

La petite CiguË des jardins est une ombelliferes ainsi que, le Persil & le Cerfeuil. Elle a la fleur blanche comme l’un. & l’autre,* [*La fleur du Persil est un peu jaunâtre. Mais plusieurs fleurs d’Ombellifères paroissent jaunes à cause de l’ovaire & des anthères, & ne laissent pas d’avoir les pétales blancs.] elle est avec le dernier dans la section qui a. la petite enveloppe & qui n’a pas la grande; elle leur ressemble assez par son feuillage, pour qu’il ne soit pas aise de vous en marquer par écrit les différences. Mais voici des caracteres: suffisans pour ne vous y pas tromper.

[566] Il faut commencer par voir en fleurs ces diverses plantes; car c’est en cet etat que la CiguË a son caractere propre. C’est d’avoir sous chaque petite ombelle un petit involucre compose de trois petites folioles pointues, assez longues, & toutes trois touillées en dehors, au lieu que les folioles des petites ombelles du Cerfeuil l’enveloppent tout autour, & sont tournées également de tous les cotes. A l’égard du Persil, à peine a-t-il quelques courtes folioles, fines comme des cheveux, & distribuées indifféremment, tant dans la grande ombelle que dans les petites, qui toutes sont claires & maigres.

Quand vous vous serez bien assurée de la CiguË en fleurs, vous vous confirmerez dans votre jugement en froissant légèrement & flairant son feuillage; car son odeur puante & vireuse ne vous la laissera pas confondre avec le Persil ni avec le Cerfeuil, qui tous deux ont des odeurs agréables. Bien sure enfin de ne pas faire de quiproquo, vous examinerez ensemble & séparément ces trois plantes dans tous leurs etats & par toutes leurs parties, sur-tout par le feuillage qui les accompagne plus constamment que la fleur, & par cet examen compare & répète jusqu’à ce que vous ayez acquis la certitude du coup-d’oeil, vous parviendrez à distinguer & connoître imperturbablement la CiguË. L’étude nous mene ainsi jusqu’à la porte de la pratique, après quoi celle-ci fait la facilite du savoir

Prenez haleine, chere Cousine, car voilà une Lettre excédante; je n’ose même vous promettre plus de discrétion dans celle qui doit la suivre; mais après cela nous n’aurons devant nous qu’un chemin borde de fleurs. Vous en méritez une [567] couronne pour la douceur & la constance avec laquelle vous daignez me suivre à travers ces broussailles, sans vous rebuter de leurs épines.

LETTRE VI

Du 2 Mai 1773.

Quoiqu’il vous reste, chere Cousine, bien des choses, à désirer dans les notions de nos cinq premieres familles, & que je n’aye pas toujours su mettre ries descriptions à la portée de notre petite Botanophile, (amatrice de la Botanique), je crois néanmoins vous en avoir donne une idée suffisante, pour pouvoir, après quelques mois d’herborisation, vous familiariser avec l’idée générale du port de chaque famille: en sorte qu’a l’aspect d’une plante, vous puissiez conjecture à-peu-près si est appartient à quelqu’une des cinq familles & à laquelle; sauf à vérifier ensuite par l’analyse de la fructification si vous vous êtes trompée ou non dans votre conjecture. Les ombellifères, par exemple, vous ont jette dans quelque embarras, mais dont vous pouvez sortir quand il vous plaira, au moyen des indications que j’ai jointes aux descriptions: car enfin les Carottes; les Panais, sont choses si. communes, que rien n’est plus aile dans le milieu de l’été que de se faire montrer l’une ou l’autre en fleurs dans potage. Or au simple aspect de l’ombelle & de la plante qui: la porte, on doit prendre une idée si nette des ombellifères, [568] qu’a la rencontre d’une plante de cette famille on s’y trompera rarement au premier coup-d’oeil. Voilà tout ce que j’ai prétendu jusqu’ici; car il ne sera pas question si-tôt des genres & des espèces; & encore une fois, ce n’est pas une nomenclature de perroquet qu’il s’agit d’acquérir, mais une science réelle, & l’une des sciences les plus aimables qu’il soit possible de cultiver. Je passe donc à notre sixieme famille avant de prendre une route plus méthodique. Elle pourra vous embarrasser d’abord autant & plus que les ombellifères. Mais mon but n’est, quant-à-présent, que de vous en donner une notion générale, d’autant plus que nous avons bien du tems encore avant celui de la pleine floraison, & que ce tems bien employé pourra vous applanir des difficultés contre lesquelles il ne faut pas lutter encore.

Prenez une de ces petites fleurs qui, dans cette saison, tapissent les pâturages & qu’on appelle ici pâquerettes, petites Marguerites, ou Marguerites tout court. Regardez-la bien; car à son aspect, je suis sur de vous surprendre en vous disant que cette fleur si petite & si mignone est réellement composée du deux ou trois cents autres fleurs toutes parfaites; c’est-à-dire, ayant chacune sa corolle, son germe, son pistil, ses étamines, sa graine, en un mot aussi parfaite en son espece qu’une fleur de Jacinthe ou de Lis. Chacune de ces folioles blanches en-dessus, rose en-dessous, qui forment comme une couronne autour de la Marguerite, & qui ne vous paroissent tout au plus qu’autant de petits pétales, sont réellement autant de véritables fleurs; & chacun de ces petits brins jaunes que vous voyez dans le centre & que d’abord vous n’avez [569] peut-être pris que pour des étamines, sont encore autant de véritables fleurs. Si vous aviez déjà les doigts exerces aux dissections botaniques, que vous vous armassiez d’une bonne loupe & de beaucoup de patience, je pourrois vous convaincre de cette vérité par vos propres yeux; mais pour le présent il faut commencer, s’il vous plaît, par m’en croire sur ma parole, de peur de fatiguer votre attention sur des atomes. Cependant, pour vous mettre au moins sur la voie, arrachez une des folioles blanches de la couronne; vous croirez d’abord cette foliole plate d’un bout à l’autre; mais regardez-la bien par le bout qui etoit attache à la fleur, vous verrez que ce bout n’est pas plat, mais rond & creux en forme de tube, & que de ce tube sort un petit filet à deux cornes; ce filet est le style fourchu de cette fleur, qui comme vous voyez n’est plate que par le haut.

Regardez maintenant les brins jaunes qui sont au milieu de la fleur & que je vous ai dit être autant de fleurs eux-mêmes; si la fleur est assez avancée vous en verrez plusieurs tout autour, lesquels sont ouverts dans le milieu & même découpes en plusieurs parties. Ce sont des corolles monopétales qui s’épanouisent, & dans lesquelles la loupe vous seroit aisément distinguer le pistil & même les anthères dont il est entoure. Ordinairement les fleurons jaunes qu’on voit au centre sont encore arrondis & non perces. Ce sont des fleurs comme les autres, mais qui ne sont pas encore épanouies; car elles ne s’épanouissent que successivement en avançant des bords vers le centre. En voilà assez pour vous montrer à l’œil la possibilité que tous ces brins tant blancs que [570] jaunes soient réellement autant de fleurs parfaites, & c’est un fait très-constant. Vous voyez néanmoins que toutes ces petites fleurs sont pressées & renfermées dans un calice qui leur est commun, & qui est celui de la Marguerite. En considérant toute la Marguerite comme une seule fleur, ce sera donc lui donner un nom très-convenable, que de l’appeller une fleurir composée. Or il y a un grand nombre d’especes & de genres de fleurs formées comme la Marguerite d’un assemblage d’autres fleurs plus petites, contenues dans un calice commun. Voilà ce qui constitue la sixieme famille dont j’avois à vous parler, savoir celle des fleurs composées.

Commençons par ôter ici l’équivoque du mot de fleur, en restreignant ce nom dans la présente famille à la fleur composée, & donnant celui de fleurons aux petites fleurs qui la composent; mais n’oublions pas que dans la précision du mot ces fleurons eux-mêmes sont autant de véritables fleurs.

Vous avez vu dans la Marguerite deux sortes de fleurons, s’avoir, ceux de couleur jaune qui remplissent le milieu de la fleur, & les petites languettes blanches qui les entourent. Les premiers sont dans leur petitesse assez semblables de figure aux fleurs du Muguet ou de la Jacinthe, & les seconds ont quelque rapport aux fleurs du Chevre-feuille. Nous laisserons aux premiers le nom de fleurons & pour distinguer les autres nous les appellerons demi-fleurons: car en effet ils ont assez l’air de fleurs monopétales qu’on auroit rognées par un cote en n’y laissant qu’une languette qui feroit à peine la moitie de la corolle.

Ces deux sortes de se combinent dans les fleurs [571] composées de maniere à diviser toute la famille en trois sections bien distinctes.

La premiere section est formée de celles qui ne sont composées que de languettes ou demi-fleurons tant au milieu qu’à la circonférence; on les. appelle fleurs demi-fleuronnées, & la fleur entiere dans cette section est toujours d’une seule couleur, le plus souvent jaune. Telle est la fleur appelée Dent-de-lion ou Pissenlit; telles sont les fleurs de Laitues, de Chicorée (celle-ci est bleue), de Scorsonere, de Salsifis, &c.

La seconde section comprend les fleurs fleuronnées, c’es-à-dire, qui ne sont composées que de fleurons, tous pour, l’ordinaire aussi d’une seule couleur. Telles sont les fleurs d’Immortelles, de Bardane, d’Absynthe, d’Armoise, de Chardon, d’Artichaut, qui est un Chardon lui-même dont on mange le calice & le réceptacle encore cri bouton, avant que la fleur soit éclose & même formée. Cette bourre qu’on ôte du milieu de l’Artichaut n’est autre chose que l’assemblage des fleurons qui commencent à se former & qui sont sépares les uns des autres par de longs poils implantes sur le réceptacle.

La troisieme section est celle des fleurs qui rassemblent les deux sortes de fleurons. Cela se fait toujours de maniere que les fleurons entiers occupent le centre de la fleur, & les demi-fleurons forment le contour ou la circonférence, comme vous avez vu dans la Pâquerette. Les fleurs de cette section s’appellent radiées, les Botanistes ayant donne le nom de rayon au contour d’une fleur composée, quand il est forme de languettes ou demi-fleurons. A l’égard de l’aire ou du centre de la fleur occupe par les fleurons, on l’appelle le disque, & on [572] donne aussi quelquefois ce même nom de disque à la surface du réceptacle ou sont plantes tous les fleurons & demi-fleurons. Dans les fleurs radiées, le disque est souvent d’une couleur & le rayon d’une autre; cependant il y a aussi des genres & des especes ou tous les deux sont de la même couleur.

Tachons à présent de bien détermine dans votre esprit l’idée d’une fleur composée. Le Treffle ordinaire fleurit en cette saison; sa fleur est pourpre: s’il vous en tomboit une sous la main, vous pourriez en voyant tant de petites fleurs rassemblées être tentée de prendre le tout pour une fleur compose. Vous vous tromperiez; en quoi? en ce que, pour constituer une fleur composée, il ne suffit pas d’une agrégation de plusieurs petites fleurs, mais qu’il faut de plus qu’une ou deux des parties de la fructification leur soient communes, de maniere que toutes aient part à la même, & qu’aucun n’ait la sienne séparément. Ces deux parties communes sont le calice & réceptacle. Il est vrai que la fleur de Treffle ou plutôt le groupe de fleurs qui n’en semblent qu’une paroit d’abord portée sur une espece de calice; mais écartez un peu ce prétendu calice, & vous verrez qu’il ne tient point à la fleur, mais qu’il est attache au-dessous d’elle au pédicule qui 1a porte. Ainsi ce calice apparent n’en est point un; il appartient au feuillage, & non pas à la fleur; & cette prétendue fleur n’est en effet qu’un assemblage de fleurs légumineuses fort petites, dont chacune à son calice particulier, & qui n’ont absolument rien de commun entre elles que leur attache au même pédicule. L’usage est pourtant de prendre tout cela pour une seule fleur; mais c’est une fausse idée, ou si l’on veut absolument regarder [573] comme une fleur, un bouquet de cette espece, il ne faut pas du moins l’appeller une fleur composée, mais une fleur agrégée ou une tête (flos aggregatus, flos capitatus, capitulum. Et ces dénominations sont en effet quelquefois emploies en ce sens par les Botanistes.

Voilà, chere Cousine, la notion la plus simple & la plus naturelle que je puisse vous donner de la famille, ou plutôt de la nombreuse classe des composées, & des trois sections ou familles dans lesquelles elles se subdivisent. Il faut maintenant vous parler de la structure des fructifications particulieres à cette claire, & cela nous mènera peut-être à en déterminer le caractere avec plus de précision.

La partie la plus essentielle d’une fleur composée est le réceptacle sur lequel sont plantes, d’abord les fleurons & demi-fleurons, & ensuite les graines qui leur succèdent. Ce réceptacle qui forme un disque d’une certaine étendue fait le centre du calice, comme vous pouvez voir dans le Pissenlit que nous prendrons ici pour exemple. Le calice dans toute cette famille est ordinairement découpe jusqu’à la base en plusieurs pieces, afin qu’il puisse se fermer, se rouvrir & se renverser, comme il arrive dans le progrès de la fructification, sans y causer de déchirure. Le calice du Pissenlit est forme de deux rangs de folioles infères l’un dans l’autre, & les folioles du rang extérieur qui soutient l’autre se recourbent & replient en-bas vers le pédicule, tandis que les folioles du rang intérieur restent droites pour entourer & contenir les demi-fleurons qui composent la fleur.

Une forme encore des plus communes aux calices de cette [574] classe est d’être imbriques, c’es-à-dire, formes de plusieurs rangs de folioles en recouvrement, les unes sur les joints des autres, comme les tuiles d’un toit. L’Artichaut, le Bluet, la Jacée, la Scorsonere vous offrent des exemples de calices imbriques.

Les fleurons & demi-fleurons enfermes dans le calice sont plantes sort dru sur son disque ou réceptacle en quinconce ou comme les cases d’un Damier. Quelquefois ils s’entre-touchent à nud sans rien d’intermédiaire, quelquefois ils sont sépares par des cloisons de poils ou de petites écailles qui retient attachées au réceptacle quand les gaines sont tombées. Vous voilà sur la voie d’observer les différences de calices & de réceptacles; parlons à présent de la structure des fleurons & demi-fleurons en commençant par les premiers.

Un fleuron est une fleur monopétale, régulière pour l’ordinaire, dont la corolle se fend dans le haut en quatre ou cinq parties. Dans cette corolle sont attaches à son tube les filets des étamines au nombre de cinq: ces cinq filets se réunissent par le haut en un petit tube rond qui entoure le pistil, & ce tube n’est autre chose que les cinq anthères ou étamines réunies circulairement en un seul corps. Cette réunion des étamines forme aux Botanistes le caractere essentiel des fleurs composées, & n’appartient qu’à leurs fleurons exclusivement à toutes sortes de fleurs. Ainsi vous aurez beau trouver plusieurs fleurs portées sur un même disque, comme dans les Scabieuses & le Chardon-à-foulon; si les anthères ne se réunissent pas en un tube autour du pistil, & si la corolle ne porte pas sur une seule gaine nue, ces fleures ne sont pas [575] des fleurons & ne forment pas une fleur, composée. Au contraire quand vous trouveriez dans une fleur unique les anthères ainsi réunies en un seul corps, & la corolle supere posée sur une seule graine, cette fleur, quoique seule, seroit un vrai fleuron, & appartiendroit à la famille des composées, dont il vaut mieux tirer ainsi le caractere d’une structure précise, que d’une apparence trompeuse.

Le pistil porte un style plus long d’ordinaire que le fleuron au-dessus duquel on le voit s’élever à travers le tube forme par les anthères. Il se termine le plus souvent dans le haut par un stigmate fourchu dont on voit aisément les deux petites cornes. Par son pied le pistil ne porte pas immédiatement sur le réceptacle non plus que le fleuron, mais l’un & l’autre y tiennent par le germe qui leur sert de base, lequel croit & s’alonge à mesure que le fleuron se dessèche, & devient enfin une graine longuette qui reste attachée au réceptacle, jusqu’à ce qu’elle soit mure. Alors elle tombe si elle est nue, ou bien le vent l’emporte au loin si elle est couronnée d’une aigrette de plumes, & le réceptacle reste à découvert tout nud dans des genres, ou garni d’écailles ou de poils dans d’autres.

La structure des demi-fleurons est semblable à celle des fleurons; les étamines, le pistil, & la graine y sont arranges à-peu-près de même: seulement dans les fleurs radiées il y a plusieurs genres ou les demi-fleurons du contour sont sujets à avorter, soit parce qu’ils manquent d’étamines, soit parce que celles qu’ils ont sont stériles, & n’ont pas la force de féconder le germe; alors la fleur ne graine que par les fleurons du milieu.

[576] Dans toue la classe des composées, la graine est toujours sessile, c’es-à-dire, qu’elle porte immédiatement sur le réceptacle sans aucun pédicule intermédiaire. Mais il y a des graines dont le sommet est couronne par une aigrette quelquefois sessile, & quelquefois attachée à la graine par un pédicule. Vous comprenez que l’usage de cette aigrette est d’éparpiller au loin les semences en donnant plus de prise à l’air pour les emporter & semer à distance.

A ces descriptions informes & tronquées, je dois ajouter que les calices ont pour l’ordinaire la propriété de s’ouvrir quand la fleur s’épanouit, de se refermer quand les fleurons se sèment tombent afin de contenir la jeune graine, & l’empêcher du se répandre avant sa maturité, enfin de se rouvrir & de se renverser tout-à-fait pour offrir dans leur centre une aire plus large aux graines qui grossissent en mûrissant. Vous avez du souvent voir le Pissenlit dans cet etat, quand les enfans le cueillent pour souffler dans ses aigrettes qui forment un globe autour du calice renverse.

Pour bien connoître cette classe, il faut en suivre les fleurs des avant leur épanouissement jusqu’à la pleine maturité du fruit, & c’est dans cette succession qu’on voit des métamorphoses & un enchaînement de merveilles qui tiennent tout esprit sain qui les observe, dans une continuelle admiration, Une fleur commode pour ces observations est celle des Soleils qu’on rencontre fréquemment dans les vignes & dans les jardins. Le Soleil, comme vous voyez, est une radiée. La reine-Marguerite, qui dans l’automne fait l’ornement des parterres [577] terres en est une aussi. Les Chardons* [*Il faut prendre garde de n’y pas mêler le Chardons-à-foulon ou des bonnetiers qui n’est pas un vrai Chardon.] sont des fleuronnées; j’ai déjà dit que la Scorsonere & le Pissenlit sont des demi-fleuronnées. Toutes ces fleurs sont assez grosses pour pouvoir être disséquées & étudiées à l’œil nud sans le fatiguer beaucoup.

Je ne vous en dirai pas davantage aujourd’hui sur la famille ou classe des composées. Je tremble déjà d’avoir trop abuse de votre patience par des détails que j’aurois rendus plus clairs si j’avois su les rendre plus courts; mais il m’est impossible de sauver la difficulté qui naît de la petitesse des objets. Bonjour, chere Cousine.

LETTRE VII

Sur Les Arbres Fruitiers.

J’attendons de nouvelles, chere Cousine, sans impatience, parce que M..T. que j’avois vu depuis la réception de votre précédente Lettre m’avoit dit avoir laisse votre maman & toute votre famille en bonne santé. Je me réjouis d’en avoir la confirmation par vous-même, ainsi que des bonnes & fraîches nouvelles que vous me donnez de ma tante Gonceru. Son souvenir cet sa bénédiction ont épanoui de joie un coeur à qui depuis long-tems on ne suit plus gueres éprouver [578] de ces sortes de mouvemens. C’est par elle que je tiens encore à quelque chose de bien précieux sur la terre, & tant que je la conserverai, je continuerai, quoiqu’on fasse, à aimer la vie. Voici le tems de profiter de vos bontés ordinaires pour elle & pour moi; il me semble que ma petite offrande prend un prix réel en passant par vos mains. Si votre cher epoux vient bientôt à Paris, comme vous me le faites espérer, je le prierai de vouloir bien se charger de mon tribut annuel; mais s’il tarde un peu, je vous prie de me marquer à qui je dois le remettre, afin qu’il n’y ait point de retard & que vous n’en fassiez pas l’avance comme l’année derniere, ce que je fais que vous faites avec plaisir, mais à quoi je ne dois pas consentir sans nécessité.

Voici, chere Cousine, les noms plantes que vous m’avez envoyées en dernier lieu. J’ai ajoute un point d’interrogation à ceux dont je suis en doute, parce que vous n’avez pas eu soin d’y mettre des feuilles avec la fleur, & que le feuillage est souvent nécessaire pour déterminer l’espece à un aussi mince Botaniste que moi. En arrivant à Fourriere, vous trouverez la plupart des arbres fruitiers en fleurs, & je nie souviens que vous aviez désire quelques directions sur cet article. Je ne puis en ce moment vous tracer là-dessus que quelques mots très à la hâte, étant très-presse, & afin que vous ne perdiez pas encore une saison pour cet examen.

Il ne faut pas, chere amie, donner à la Botanique une importance qu’elle n’a pas; c’est une étude de pure curiosité & qui n’a d’autre utilité réelle que celle peur tirer un être pensant & sensible de l’observation de la nature, & des [579] merveilles de l’Univers. L’homme a dénature beaucoup de choses pour les mieux convertir à son usage; en cela il n’est point à blâmer; mais il n’en est pas moins vrai qu’il les a souvent défigurées, & que, quand dans les œuvres de ses mains, il croit étudier vraiment la nature, il se trompe. Cette erreur a lieu sur-tout dans la société civile, elle a lieu de même dans les jardins. Ces fleurs doubles qu’on admire dans les parterres, sont des monstres dépourvus de la faculté de produire leur semblable dont la nature a doue tous tes êtres organises. Les arbres fruitiers sont à-peu-près dans le même cas par la greffe; vous aurez beau planter des pépins de Poires & de Pommes des meilleures especes, il n’en naîtra jamais que des sauvageons. Ainsi pour connoître la Poire & 1a Pomme de nature, il faut les chercher non dans les potagers, mais dans les forets. La chair n’en est pas si grosse & si succulente, mais les semences en mûrissent mieux, en multiplient davantage, & les arbres en sont infiniment plus grands & plus vigoureux. Mais j’entame ici un article qui me meneroit trop loin: revenons à nos potagers.

Nos arbres fruitiers, quoique greffés, gardent dans leur fructification tous les caracteres botaniques qui les distinguent, & c’est par l’étude attentive de ces caracteres, aussi-bien que par les transformations de la greffe, qu’on s’assure qu’il n’y a, par exemple, qu’une seule espece de Poire sous mille noms divers, par lesquels la forme & la saveur de leurs fruits les a fait distinguer en autant de prétendues especes qui ne sont au fond que des variétés. Bien plus, la Poire & la Pomme ne sont que deux especes du même genre, & leur unique différence [580] bien caractéristique, est que le pédicule de la Pomme entre dans un enfoncement du fruit, & celui de la Poire tient à un prolongement du fruit un peu alonge. De même toutes les sortes de Cerises, Guignes, Griottes, Bigarreaux, ne sont que des variétés d’une même espece; toutes les Prunes ne sont qu’une espece de Prunes; le genre de la Prune contient trois especes principales, savoir la Prune proprement dite, la Cerise, & l’Abricot qui n’est aussi qu’une espece de Prune Ainsi quand le savant Linnaeus divisant le genre dans ses especes à dénomme la Prune Prune, la Prune Cerise, & la Prune Abricot, les ignorans se sont moques de lui; mais les observateurs ont admire la justesse de ses réductions, &c. Il faut courir, je me hâte.

Les arbres fruitiers entrent presque tous dans une famille nombreuse, dont le caractere est facile à saisir, en ce que les étamines, en grand nombre, au lieu d’être attachées au réceptacle sont attachées au calice, par les intervalles que laissent les pétales entre eux; toutes leurs fleurs sont polypétales & à cinq communément. Voici les principaux caracteres génériques.

Le genre de la Poire, qui comprend aussi la Pomme & le Coin. Calice monophylle à cinq pointes. Corolle à cinq pétales attaches au calice, une vingtaine d’étamines toutes attachées au calice. Germe ou ovaire infère; c’es-à-dire au-dessous de la corolle, cinq styles. Fruits charnus à cinq logettes, contenant des graines, &c.

Le genre de la Prune, qui comprend l’Abricot, la Cerise, & le Laurier-cerise. Calice, corolle & anthères à-peu-près [581] comme la Poire. Mais le germe est supere, c’es-à-dire, dans la corolle, & il n’y a qu’un style. Fruit plus aqueux que charnu contenant un noyau, &c.

Le genre de l’Amande, qui comprend aussi la Peche. Presque comme la Prune, si ce n’est que le germe est velu, & que le fruit, mou dans la Peche, sec dans l’Amande, contient un noyau dur, raboteux, parsemé de cavités, &c

Tout ceci n’est que bien grossièrement ébauche, mais c’en est assez pour vous amuser cette année. Bonjour, chere Cousine.

LETTRE VIII

Du 11 Avril 1773.

SUR LES HERBIERS.

Grace au ciel, chere Cousine, vous voilà rétablie. Mais ce n’est pas sans que votre silence & celui de M. G. que j’avois instamment prie de m’écrire un mot à son arrivée, ne m’ait cause bien des alarmes. Dans des inquiétudes de cette espece rien n’est plus cruel que le silence, parce qu’il fait tout porter au pis. Mais tout cela est déjà oublie & je ne sers plus que le plaisir de votre rétablissement. Le retour de la belle saison, la vie moins sédentaire de Fourriere, &: le plaisir de remplir avec succès la plus douce, ainsi que la plus respectable des fonctions, acheveront bientôt de l’affermir, & vous en sentirez moins tristement l’absence passagere de votre mari, au milieu [582] des chers gages de son attachement & des continuels qu’ils vous demandent.

La terre commence à verdir, les arbres à bourgeonner, les fleurs à s’épanouir; il y en a de je de passées; un moment de retard pour la Botanique, nous reculeront d’une année entiere: ainsi j’y passe sans autre préambule.

Je crains que nous ne l’ayons traitée jusqu’ici d’une maniere trop abstraite, en n’appliquant point nos idées sur des objets déterminés: c’est le défaut dans lequel je suis tombe, principalement à l’égard des ombellifères. Si j’avois commence par vous en mettre une sous les yeux, je vous aurois épargné une application très-fatigante sur un objet imaginaire, & à moi des descriptions difficiles, auxquelles un simple coup-d’oeil auroit supplée. Malheureusement, à la distance ou la loi de la nécessité me tient de vous, je ne suis pas à portée de vous montrer du doigt les objets; mais si chacun de notre cote nous en pouvons avoir sous les yeux de semblables, nous nous entendrons très-bien l’un l’autre en parlant de ce que nous voyons. Toute la difficulté est qu’il faut que l’indication vienne de vous; car vous envoyer d’ici des plantes seches, seroit ne rien faire. Pour rien reconnoître une plante, il faut commencer par la voir sur pied. Les Herbiers servent de mémoratifs pour celles qu’on a déjà connues; mais ils sont mal connoître celles qu’on n’a pas vues auparavant. C’est donc à vous de m’envoyer des plantes que vous voudrez connoître & que vous aurez cueilles sur pied; & c’est à moi de vous les nommer, de les classer, de les décrire; jusqu’à ce que par des idées comparatives, devenues familières à vos [583] yeux & à votre esprit, vous parveniez à classer, ranger & nommer vous-même celles que vous verrez pour la premiere fois; science qui seule distingue le vrai Botaniste de Herboriste ou Nomenclateur. Il s’agit donc ici d’apprendre à préparer, dessécher & conserver les plantes ou échantillons de plantes, de maniere à les rendre faciles à reconnoître & à déterminer. C’est, en un mot, un Herbier que je vous propose de commencer. Voici une grande occupation qui de loin se prépare pour notre petite amatrice: car quant-à-présent & pour quelque tems encore, il faudra que l’adresse de vos doigts supplée à la foiblesse des siens.

Il y a d’abord une provision à faire; savoir, cinq ou six mains de papier gris, & à-peu-près autant de papier blanc, de même grandeur, assez fort & bien colle, sans quoi les plantes se pourriroient dans le papier gris, ou du moins les fleurs y perdroient leur couleur, ce qui est une des parties qui les rendent reconnoissables, & par lesquelles un Herbier est agréable à voir. Il seroit encore à désirer que vous eussiez une presse de la grandeur de votre papier, ou du moins deux bouts de planches bien unies, de maniere qu’en plaçant vos feuilles entre deux, vous les y puissiez tenir pressées par les pierres ou autres corps pesans dont vous chargerez la planche supérieure. Ces préparatifs faits, voici ce qu’il faut observer pour préparer vos plantes de maniere à les conserver & les reconnoître.

Le moment a choisir pour cela est celui ou la plante est en pleine fleur, & ou même quelques fleurs commencent à tomber pour faire place au fruit qui commence à paroître. [584] C’est dans ce point ou toutes les parties de la fructification sont sensibles, qu’il faut tacher de prendre la plante pour la dessécher dans cet etat.

Les petites plantes se prennent toutes entières avec leurs racines qu’on a soin de bien nettoyer avec.une brosse, afin qu’il n’y reste point de terre. Si la terre est mouillée on la laisser sécher pour la brosser, ou bien on lave la racine; mais il faut avoir alors la plus grande attention de la bien essuyer, & dessécher avant de la mettre entre les papiers, sans quoi elle s’y pourriroit infailliblement & communiqueroit sa pourriture aux autres plantes voisines. Il ne faut cependant s’obstiner à conserves les racines qu’autant qu’elles ont quelques singularités remarquables; car dans le plus nombre, les racines ramifiées & fibreuses ont des formes si semblables que ce n’est pas la peine de les conserves. La nature qui a tant fait pour l’élégance & l’ornement dans la figure & la codeur des plantes en ce qui frappe les yeux, à destine les racines uniquement aux fonctions utiles, puisqu’étant cachées dans la terre, leur donner une structure agréable, eut été cacher la lumière sous le boisseau.

Les arbres & toutes les grandes plantes ne se prennent que par échantillon. Mais il faut que cet échantillon soit si bien choisi, qu’il contienne toutes les parties constitutives du genre & de l’espece, afin qu’il puisse suffire pour reconnoître & déterminer la plante qui sa fourni. Il ne suffit pas que toutes les parties de la fructification y soient sensibles, ce qui ne serviroit, qu’a distinguer le genre, i1 faut qu’on y voye bien le caractere de la foliation & de la ramification; c’es-à-dire, [585] la naissance & la forme des feuilles & des branches, & même autant qu’il se peut, quelque portion de la tige; car, comme vous verrez dans la suite, tout cela sert à distinguer les especes différentes des mêmes genres qui sont parfaitement semblables par la fleur & le fruit. Si les branches sont trop épaisses, on les amincit avec un couteau ou canif, en diminuant adroitement par-dessous de leur épaisseur autant que cela se peut sans couper & mutiler les feuilles. II y a des Botanistes qui ont la patience de fendre l’écorce de la banche & d’en tirer adroitement le bois, de façon que l’écorce rejointe paroit vous montrer encore la branche entiere, quoique le bois n’y sois plus. Au moyen de quoi l’on n’a point entre les papiers des épaisseurs & bosses trop considérables, qui gâtent, défigurent l’Herbier, & sont prendre une mauvaise forme aux plantes..Dans les plantes ou les. fleurs & les feuilles ne viennent pas en même tems, ou naissent trop loin les unes des autres, on prend une petite branche à fleurs & une petite branche à feuilles, & les plaçant.ensemble dans le même papier, on offre ainsi à l’œil les diverses parties de la même plante, suffisantes pour la faire reconnoître. Quant aux plantes ou l’on ne trouve que des feuilles, & dont la fleur n’est pas encore venue ou est déjà passée, il les faut laisser, & attendre, pour les reconnoître, qu’elles montrent leur visage, Une plante n’est pas plus surement reconnoissable à son feuillage, qu’un homme à son habit.

Tel est le choix qu’il faut mettre dans ce qu’on cueille: il en faut mettre aussi dans le moment qu’on prend pour cela. Les plantes cueillies le matin à la rosée, ou le soir à l’humidité, [586] ou le jour durant la pluie, ne se conservent point. Il faut absolument choisir un tems sec, & même dans ce tems-là, le moment le plus sec & le plus chaud de la journée, qui est en été entre onze heures du matin & cinq au six heures du soir. Encore alors, si l’on y trouve la moindre humidité, faut-il les laisser; car infailliblement elles ne se conserveront pas.

Quand vous avez cueilli vos échantillons, vous les apportez au logis toujours bien au sec pour les placer & arranger dans vos papiers. Pour cela vous faites votre premier lit de deux feuilles au moins de papier gris, sur lesquelles vous placez une feuille de papier blanc, & sur cette feuille, vous arrangez votre plante, prenant grand soin que toutes ses parties, sur-tout les feuilles & les fleurs soient bien ouvertes, & bien étendues dans leur situation naturelle. La plante un peu flétrie, mais sans l’être trop, se prête mieux pour l’ordinaire à l’arrangement qu’on lui donne sur le papier avec le police & les doigts. Mais il y en a de rebelles qui se grippent d’un cote, pendant qu’on les arrange de l’autre. Pour prévenir cet inconvénient, j’ai des plombs, de gros sous, des liards, avec lesquels j’assujettis les parties que je viens d’arranger, tandis que j’arrange les autres ce façon que quand j’ai fini ma plante se trouve presque toute couverte de ces pieces, qui la tiennent en etat. Après cela on pose une seconde feuille blanche sur la premiere, & on la presse avec la main afin de tenir la plante assujettie dans la situation qu’on lui a donnée, avançant ainsi la main gauche qui presse à mesure qu’on retire avec la droite les plombs & les gros [587] sous qui sont entre les papiers; on met ensuite deux autres feuilles de papier gris sur la seconde feuille blanche, sans cesser un seul moment de tenir la plante assujettie de peur qu’elle ne perde la situation qu’on lui a donnée; sur ce papier gris on met une autre feuille blanche, sur cette feuille une plante qu’on arrange & recouvre comme ci-devant; jusqu’à ce qu’on ait place toute la moisson qu’on a apportée, & qui ne doit pas être nombreuse pour chaque fois; tant pour éviter la longueur du travail, que de peur que durant la dessiccation des plantes, le papier ne contracte quelque humidité par leur grand nombre; ce qui gâteroit infailliblement vos plantes, si vous ne vous hâtiez de les changer de papier avec les mêmes attentions; & c’est même ce qu’il faut faire de tems en tems, jusqu’à ce qu’elles aient bien pris leur pli, & qu’elles soient toutes assez seches.

Votre pile de plantes & de papiers ainsi arrangée, doit être mise en presse, sans quoi les plantes se gripperoient; il y en a qui veulent être plus presses, d’autres moins; l’expérience vous apprendra cela, ainsi qu’a les changer de papier à propos, & aussi souvent qu’il faut, sans vous donner un travail inutile. Enfin quand vos plantes seront bien seches, vous les mettrez bien proprement chacune dans une feuille de papier, les unes sur les autres, sans avoir besoin de papiers intermédiaires, & vous aurez ainsi un Herbier commence, qui s’augmentera sans cesse avec vos connoissances, & contiendra enfin l’histoire de toute la végétation du pays: au reste, il faut toujours tenir un Herbier bien serre, & un peu en presse; sans quoi les plantes, quelque seches qu’elles fussent, [588] attireroient. l’humidité de l’air, & se gripperoient encore.

Voici maintenant l’usage de tout ce travail pour parvenir à la connoissance particuliere des plantes, & à nous bien entendre lorsque nous en parlons.

Il faut cueillir deux échantillons de chaque plante; l’un plus grand pour le garder, l’autre plus petit pour me l’envoyer. Vous les numéroterez avec soin, de façon que le grand le petit échantillons de chaque espece aient toujours le même numéro. Quand vous aurez une douzaine ou deux d’especes ainsi desséchées, vous me les enverrez dans un petit cahier par quelque occasion. Je vous enverrai le nom & la description des. mêmes plantes; par le moyen des numéros, vous les reconnoitrez dans votre Herbier, & de-la sur la terre, ou je suppose que vous aurez commence de les bien examiner. Voilà un moyen sur de faire des progrès aussi surs & aussi rapides qu’il est possible loin de votre guide.

N. B. J’ai oublie de vous dire que le mêmes papiers peuvent servir plusieurs fois, pourvu qu’on ait soin de les bien aérer & dessécher auparavant, Je dois ajouter aussi que l’Herbier doit être tenu dans le lieu le plus sec de la maison, & plutôt au premier qu’au rez-de-chaussée.

[Tableau-7-6]

FIN.

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